Des précisions sur le patronyme
Avant d’être un patronyme, le mot rodier n’est autre qu’un nom de métier qui désigne le charron, celui qui est chargé notamment de fabriquer des roues. En parlant de roue, je trouve trace d’un moulin Rodier au XVIIe siècle près de Meyrueis, au coeur des Cévennes. Un relevé des archives de la ville trouvé sur Internet confirme le nombre important de Rodier qui gravite aux alentours de Meyrueis à cette période.
Des confusions et un jeu de piste
Revenons en 1703 et à la guerre des Camisards. La même cousine de mon arrière grand-mère énonce ensuite :
Entre temps, Pierre a été obligé de fuir devant les dragons du roi. Il fuit vers Castres avec sa femme et ses deux enfants. Mais il est dénoncé et rattrapé et enfermé au château de Ferrières près de Montpellier. Sa femme est transportée dans la tour de Constance à Aigues-Mortes. Pour sauver sa femme et ses enfants, il se fait baptiser dans la religion catholique et obtient la liberté de sa famille contre une somme de 163 livres 1 sol et 3 deniers. Sinon c’était une peine de 27 ans de galère ou de prison. »
Avant toute chose et pour que vous y voyez plus clair, le Pierre dont il est question ici n’est autre que mon Sosa 992, né a priori au début du XVIIIe siècle, et serait donc le fils du Pierre hypothétiquement mort à Fraissinet-de-Fourques en 1703. Un peu plus loin dans son récit, la cousine donne le nom de sa femme, une certaine Louise Fau. Sur ce passage donc, beaucoup de confusions. Grâce à Généanet, j’ai réussi à trouver trace d’un couple Rodier-Fau marié au Désert mais dont nous trouvons trace dans les registres de l’Eglise réformée de Roquecourbe, dans le Tarn, le 19 septembre 1745. Après vérification, le couple semble bien correspondre à celui de mes ancêtres. Roquecourbe se situe à un peu plus de 200 kilomètres au sud-ouest de Fraissinet-de-Fourques et à seulement une dizaine de kilomètres au nord-est de Castres. Première confusion : si fuite il y a eu, Pierre Rodier se marie bien après. Par ailleurs, dans les trois années qui suivent, nous trouvons trace de deux baptêmes dans les registres de l’Eglise réformée de Roquecourbe, Jean Pierre en 1746 et Louis en 1748. Cela confirme le fait que le couple a bien deux enfants.
Mais qu’en est-il du château de Ferrières et de la Tour de Constance ? Déjà, le château de Ferrières se situe à une vingtaine de kilomètres à l’est de Roquecourbe et pas du tout près de Montpellier. La confusion est sans doute liée au fait qu’elle parle juste après de l’hypothétique enfermement de Louise Fau à Aigues-Mortes. Hypothétique en effet car elle n’a en réalité jamais été à Aigues-Mortes, du moins si j’en crois la liste des prisonnières protestantes de la Tout de Constance publiée sur le site du Musée du Désert que vous pouvez visiter à Mialet, dans le Gard. Cela étant, il est fort probable qu’au moment où Pierre est emprisonné, elle soit menacée de déplacement à Aigues-Mortes. Car, oui, Pierre Rodier a bien été à Ferrières et j’en trouve une trace dans l’Histoire du protestantisme dans l’Albigeois et le Lauragais, depuis la révocation de l’Edit de Nantes (1685) jusqu’à nos jours édité rédigée par Camille Rabaud (1827-1921), pasteur et historien français, publiée en 1898 et disponible en ligne via Gallica :
Roquecourbe. – Baptêmes au Désert……………………………………………………………………………… 58
Arrêtés pour baptêmes au Désert…………………………………………………………… 3
Pierre Cumenge et Pierre Rodier ne quittent les cachots de Ferrières qu’en payant 163 liv. et en promettant un second mariage et de nouveaux baptêmes à l’Eglise,
11 novembre 1751. »
Source : RABAUD, Camille, Histoire du protestantisme… op.cit., Fischbacher, Paris, 1898, p.616.
Précisions sur le château de Ferrières
S’il existait apparemment un château médiéval à Ferrières, il aurait été transformé au XVIe siècle par Guillaume Guilhot, seigneur huguenot. Nous sommes en pleines guerres de Religion entre catholiques et protestants et Ferrières devient alors un bastion important pour les Réformés de la région. Ironie du sort, un peu plus d’un siècle plus tard, à la fin du XVIIe siècle et après la révocation de l’Edit de Nantes, Pierre III de Bayard, arrière petit-fils de Guilhot, devient le persécuteur des protestants et Ferrières sert dans un premier temps de garnison pour les troupes royales jusqu’en 1708 où le château devient alors une prison.
S’il n’est pas possible de visiter le château aujourd’hui, le simple fait d’en voir des photographies me glace presque le sang. Sentiment très étrange, que je n’ai, je crois, jamais ressenti au cours de mes recherches généalogiques mais imaginer mon ancêtre passer la voûte du château, l’imaginer désespéré craignant pour sa femme et ses deux enfants me trouble. Certains en souriront peut-être mais je crois pouvoir imaginer le ressenti de mon ancêtre en plein automne 1751. C’est étrange d’ailleurs car il y a quelques semaines, j’ai découvert sur la tombe de mes arrière grands-parents et donc de mon arrière grand-mère Eliane, le message suivant :
Mon arrière grand-mère se passionnait pour l’histoire de ses ancêtres Rodier et je suis fier aujourd’hui de pouvoir mener ces recherches, facilitées en grande partie grâce à elle et la correspondance qu’elle a entretenue avec l’une de ses cousines.
Des Pierre et des Pierre
Il convient ici de faire un point sur ma filiation. Je remonte de manière certaine au fils du Pierre que je viens d’évoquer, qui s’appelle aussi Pierre et se marie à une Martin du mas de Solpéran à Saint-André-de-Lancize au début des années 1770. D’après son acte de décès à Cassagnas en 1831, j’estime sa naissance à 1749. Or, si j’en crois la cousine de mon arrière grand-mère, son père n’aurait eu que deux enfants. Et je ne trouve en effet, comme je l’ai dit plus haut, que deux naissances issues du couple Rodier-Fau, dont l’aîné, Jean Pierre, en 1746. Pourquoi Jean Pierre ? Car son parrain n’est autre que Jean Pierre, certainement le même que celui qui est désigné comme étant le père de Pierre à son mariage en 1745. Aurait-on ajouter Jean pour différencier les individus ? Le Jean Pierre né en 1746 est-il bien mon ancêtre ? Je reste prudent bien que tout semble indiquer que oui. Voici donc le schéma d’ascendance des Rodier à ce stade :
Jean Pierre Rodier x ? (l’acte de mariage de son fils en 1745 ne précise pas l’identité de sa mère)
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Pierre Rodier x Louise Fau
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Pierre Rodier x Jeanne Martin
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Pierre Rodier x Thérèse Geneviève Joséphine Fouques
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Pierre Rodier x Jeanne Julie Sirven
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Calixte Vitor Rodier x Julisme Adèle Larguier
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Marie Elisa Rodier
Après la fuite, le retour dans les Cévennes
Il [Pierre de Ferrières] revient en Lozère […] et s’installe pour quelque temps chez sa grand-mère Jeanne Borelly, veuve de Jean Cabanel de Fourques qui lui laisse son domaine et son argent à sa mort, à condition qu’il dédommage ses deux frères (280 livres chacun). Son fils Pierre se marie avec Marie Martin du mas de Solpéran. Ils auront un fils aîné qu’ils nommeront Pierre. Après la mort de sa femme Louise Fau, il viendra habiter le mas de Solpéran avec son fils Pierre, sa belle-fille Martie Martin et son petit-fils Pierre. Il y mourra d’ailleurs. »
Que de Pierre ! Deux remarques préliminaires : la femme de Pierre, d’après son acte de décès à Cassagnas en 1827, s’appelle Jeanne Sirven et non Marie. Pour identifier les mas cités dans le travail de la cousine de mon arrière grand-mère, je me suis servi du Dictionnaire géographique de la Lozère publié en 1852 et réédité de nombreuses fois, par un certain Jean Bouret. Il est disponible en ligne. Il existe deux mas de Solpéran dans des communes très proches, limitrophes mêmes, à savoir Saint-André-de-Lancize et Saint-Germain-de-Calberte. Je penche plutôt pour Saint-André-de-Lancize dans la mesure où Pierre, le petit fils de Pierre et Jeanne Martin, naît aux Ayres à Saint-André-de-Lancize, ce qui tend à montrer que la famille réside là-bas, avant de migrer dans la commune de Cassagnas.
Revenons à l’histoire de Pierre de Ferrières. La cousine explique qu’après l’épisode tragique du Tarn, Pierre s’installe à Fourques, comprenez Fraissinet-de-Fourques, où réside sa grand-mère Jeanne Borelly. Après des recherches dans les registres paroissiaux de cette commune, je trouve en effet, le 27 juin 1758, la sépulture de Jeanne Borelly, veuve de Jean Cabanel (1). L’occurence des noms et le fait que son décès intervient après 1751 et donc l’épisode du Tarn m’amènent à conclure qu’il s’agit bien de mon ancêtre. Toutefois, aucune trace ensuite d’un éventuel décès concernant Louise Fau, avec qui Pierre semble résider à Fraissinet. Dans l’étude des registres paroissiaux cependant, je croise beaucoup de Rodier avec des prénoms familiers : Antoine, Louis, Jean, quelques Pierre aussi. Malheureusement, à ce stade des recherches, je n’ai pas encore les moyens de les relier directement à mon ascendance. Et la malchance s’en mêle puisque les registres paroissiaux de la commune de Saint-André-de-Lancize ne sont disponibles qu’à partir de 1793. Comme Pierre de Ferrières semble mourir au mas de Solpéran, retrouver sa sépulture risque d’être délicat.
(1) S’il s’agit, comme je le pense, de ses grands-parents maternels, cela voudrait dire que la mère de Pierre, femme de Jean Pierre du coup, est une Cabanel. Quoiqu’il en soit, Jeanne Borelly (née vers 1698-1758) est mon Sosa 3 971.
Suite au prochain billet.
En introduction du livret remis à mon arrière grand-mère, nous pouvons lire ces quelques mots apparemment prononcés par Yehudin Menuhin, violoniste et chef d’orchestre américain de renom :
Ces liens entre passé et présent et aussi avenir ont une importance considérable. Ils font un tout de l’aventure humaine, lui donnant un sens, et nous ne pouvons les trancher qu’avec risques et périls. »
Bravo pour cette belle suite ! On reste en haleine de ces belles découvertes !
Merci Marine pour tes deux commentaires et je confirme en effet que c’est à la fois une mine d’infos et un gros boulot pour démêler les confusions des faits mais c’est le jeu !
Toujours aussi passionnant, bravo. J’imagine qu’à ton programme il y a une plongée au coeur des actes notariés … J’attends la suite
Merci Brigitte, content que cette histoire te passionne : au programme, il y a d’abord la fin du travail sur ce fascicule, puis une plongée dans les inventaires afin de cerner où éventuellement chercher. Pour les actes notariés, j’en ai déjà vu passer au fil de mes recherches et ils constituent en effet un complément qui sera indispensable pour creuser les recherches, mais dans un deuxième temps !
C’est passionnant !! Vivement la suite!
La citation sur la tombe de notre arrière-grand-mère a été choisie par ma mère. Elle l’a tirée de Hemingway et elle était destinée à notre arrière-grand-père.
Il faudra organiser un petit pèlerinage en terres protestantes…
Des bises.
Anaïs
Merci pour le complément Anaïs 🙂