Il est une époque où les toits étaient faits de chaume, où les bêtes cohabitaient avec les humains, où les granges étaient remplies de foin, où toutes les richesses de familles alpines tenaient entre quatre murs et un peu au-delà. Au XIXe siècle, à Saint-Sorlin-d’Arves, petit village de Maurienne, les incendies représentent certainement une des catastrophes les plus redoutées, assurément une des plus redoutables.
Les premières cendres
Dans les registres paroissiaux de la commune, nous trouvons trace en 1789 d’un incendie dramatique responsable de la réduction en cendres d’une quinzaine de maisons dans le hameau de la Ville. Moins important, un nouvel incendie frappe le hameau de Cluny en 1840. Dans les deux cas, la foudre est à l’origine des flammes. En 1840, le curé de la commune déplore, dans ses registres, une catastrophe liée au « feu du Ciel. »
Les toits des habitations étant couverts de chaume (en paille de seigle à Saint-Sorlin), il est aisé d’imaginer à quel point les flammes n’ont aucun mal à se propager de maison en maison, propagation par ailleurs facilitée par le vent. Les habitants prennent alors l’habitude de construire, à Saint-Sorlin comme ailleurs en Maurienne puisque les incendies n’ont pas de préférence géographique, ce qu’on appelle des greniers, sortes de petites maisons, dans lesquelles les habitants placent leurs objets de valeur – les costumes traditionnels notamment – ainsi qu’une partie des récoltes. Ces greniers sont évidemment construits à l’écart des maisons d’habitation et constituent une manière de mettre en sécurité l’essentiel en cas d’incendie.
Quand le sort s’acharne
1854, 1868, 1872, 1874, 1876, 1883, 1887, 1894, 1897 : en moins de cinquante ans, Saint-Sorlin est victime de pas moins de neuf incendies, qui touchent les hameaux de Cluny, de la Ville, de l’Eglise, du Pré, de Pierre-Aigüe.
La presse locale de la seconde moitié du XIXe siècle rend compte des drames que les flammes représentent. D’abord en 1854, où la quasi-totalité du hameau du Pré est ravagé par les flammes. Le recteur de la paroisse, Alexis Bouttaz, témoigne même dans les registres paroissiaux :
En 1854 le 16 du mois de septembre, un violent incendie a éclaté au village du Pré, vers 9 heures du soir. En moins d’une heure, tout le village a été la proie des flammes, le seul grenier à côté de la grange n’a pas été atteint par le fléau destructeur : l’année 1854 avait été très précoce puisque toute la récolte était déjà retirée. Tout a péri. Que le bon Dieu nous préserve d’un malheur semblable ! Hommage soit rendu au plus grand nombre de paroissiens du diocèse qui, par le moyen de quêtes, sont venus au secours des victimes de l’incendie ; malgré cela, il y a beaucoup de souffrance et quelle peine pour rebâtir surtout dans cette paroisse où il n’y a point de forêt communale. Pour mémoire. A. Bouttaz, recteur. » (1)
En 1897, l’évêque de Maurienne en personne fait un appel au don dans la presse suite à un incendie touchant une nouvelle fois le hameau de la Ville. Lorsqu’il parle de l’incendie de 1895, il évoque en fait celui survenu en novembre 1894.
Le fait commun souligné par l’ensemble des témoignages est sûrement la solidarité qui s’opère alors non seulement entre habitants de la même commune, mais aussi de la part des habitants des communes situées à proximité de Saint-Sorlin, notamment Saint-Jean-d’Arves. De véritables chaînes humaines se mettent en place pour acheminer l’eau sur les lieux enflammés, l’objectif étant d’arrêter la propagation de l’incendie. La solidarité passe aussi par l’organisation de quêtes à travers toute la vallée et même au-delà afin de venir en aide aux habitants sinistrés.
Par deux reprises, en 1868 et 1874, l’imprudence de parents ayant laissé leur enfant seul à proximité d’une boîte d’allumettes est mise en cause.
Au XXe siècle, les incendies seront, fort heureusement, beaucoup moins fréquents à Saint-Sorlin, qui voit par ailleurs sa population baisser en raison de l’industrialisation et de l’exode rural de plus en plus massif. Dans le cadre de recherches généalogiques, il est fondamental d’avoir à l’esprit à quel point ce type de drames – il en existe bien d’autres – pèse et influe sur les trajectoires familiales étudiées à travers, par exemple, l’histoire d’une maison.
À lire
A.S.P.E.C.T.S.(2), À la découverte de Saint-Sorlin-d’Arves, d’hier à aujourd’hui, Saint-Jean-de-Maurienne, Imprimerie Salomon, 1989, 48p.
Notes
(1) Archives départementales de la Savoie en ligne, RP de Saint-Sorlin-d’Arves, 5MI 567, vue 315/381
(2) Acronyme de Association Sauvegarde du Patrimoine Et de la Culture Traditionnelle de Saint-Sorlin.
Très jolies photos, c’est vraiment un très bel endroit, la vie devait être tellement paisible à l’époque…
Je ne sais pas si elle était paisible vu les conditions relativement difficiles de vie mais en tout cas les paysages étaient, et le sont toujours d’ailleurs, magnifiques !
La tradition des mazots permettant de mettre à l’abri des flammes les biens était également courante dans d’autres coins de Savoie. Il y en avait beaucoup aussi en Genevois (vallée des Aravis)
Oui bien sûr et vous avez raison de le souligner : les greniers à Saint-Sorlin ne sont pas exceptionnels en tant que tels!