Avec cet article, je souhaite inaugurer une nouvelle rubrique de mon blog, consacrée à la psychogénéalogie ou plutôt à l’analyse transgénérationnelle. Je préfère désormais ce terme au premier, trop galvaudé à mon sens et derrière lequel on a tendance à mettre tout et n’importe quoi. L’analyse transgénérationnelle donc, est le fait d’étudier dans notre généalogie d’éventuels traumatismes ancestraux qui se seraient transmis de génération en génération, sous une forme ou sous une autre. De même que nous héritons d’un patrimoine génétique, nous héritons d’un patrimoine émotionnel dans lequel se trouverait la somme des mémoires et des vécus de nos ancêtres. Il ne s’agit pas d’une simple vue de l’esprit puisque c’est désormais prouvé scientifiquement : nous transmettons, en plus de nos gènes, des émotions aux générations qui nous suivent.
Voici désormais des années que je me documente, que je lis pléthore de travaux ou supposés comme tels – certains sont en effet très décevants – et que je travaille personnellement sur ma propre ascendance. Vous l’aurez compris, si je cherche, c’est que j’estime que la découverte de secrets de famille ou présentés comme tels par la mémoire familiale – « il se serait suicidé », « il aurait été malade », « elle aurait été abandonnée »… – pèse potentiellement sur les générations qui ont suivi, sur mes proches, et, ainsi, sur moi et ce que je vis. J’ai déjà mis en évidence un certain nombre d’occurences flagrantes – des dates, des répétitions de prénoms, des ruptures similaires – dans des lignées particulières, en précisant toutefois qu’aucun travail de ce type n’a été mené dans ma famille. En l’occurence, ce que j’ai mis en évidence était niché dans l’inconscient de certains membres de ma famille et cela a fait sens quand j’en ai parlé, comme des pièces d’un puzzle qui se reconstitue au fur et à mesure. Il faut dire aussi que certaines lignées « problématiques » sont issues de l’Algérie coloniale : je vous laisse imaginer le contexte de la société coloniale, la rupture avec la famille restée en métropole, la violence du système qu’ils entretenaient par ailleurs, pour certains, à alimenter, les histoires familiales classiques, le brassage des populations, des cultures, des religions – fait pas si anodin que cela, un certain nombre de mariages de mes ancêtres a concerné des catholiques et des protestants -,dans une IIIe République qui voyait tout cela d’un très mauvais oeil. Bref, ajoutez à cela la rupture sèche et inéluctable de l’indépendance, la guerre, les morts, le rapatriement – pour la plupart de mes proches, il s’est agi d’une première fois sur le sol métropolitain – et vous vous retrouvez avec un contexte familial pour le moins complexe, rempli de nuances, de continuités, de ruptures, d’échecs, de renoncements, de déclassement et évidemment… de non-dits !
Tout ça pour dire quoi ? Chaque famille a son lot de malheurs, de souffrances, d’histoires en tout genre, et pourtant dans chaque famille ne se cache pas, au coin d’une lignée, un fantôme qui rôde et qui hante la descendance. J’en conviens. Pour quelles raisons ? À partir du moment où il y a verbalisation, c’est-à-dire des mots qui sont posés sur tel ou tel aspect de l’histoire familiale, aussi dramatique qu’il soit ou qu’il ait été, il n’y aura aucune incidence sur les générations qui suivent. Je n’invente rien et certains diront même qu’il s’agit là d’enfoncer des portes ouvertes. Tout le travail de la psychanalyse est bien de mettre des mots sur des aspects problématiques des inconscients individuel et familial et par là même, souvent douloureux. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’un ancêtre s’étant pendu à quelques semaines de la naissance de son fils pèsera sur la vie de ce dernier, d’autant plus si le suicide est tu par une mère honteuse ou terriblement malheureuse, croyant bien faire en n’en touchant mot. Pourtant, trois générations plus tard, ce suicide, complétement relégué à l’inconscient familial, pourra hanter tel ou telle descendant-e, lequel n’a même pas idée que le problème provient directement du drame de son aïeul.
Ainsi, dans cet exemple, la cause originelle du problème n’est pas le suicide – il ne s’agit ni de réparer ni de juger tel ou tel acte ancestral – mais bien le fait qu’aucun mot n’a accompagné le drame familial. Trois, quatre, cinq générations plus tard, le fantôme du suicide plane toujours sur la vie familiale car non-verbalisé. Il ne s’agit donc pas de traquer des fantômes familiaux pour le plaisir, mais bien pour permettre de verbaliser d’éventuels non-dits ancestraux qui empêchent d’aborder l’histoire familiale sereinement d’une part, et de vivre en paix, en tant qu’individu surtout, d’autre part.
À chaque billet, sa référence bibliographique et la citation qui va avec : je vous recommande l’ouvrage de Bruno Clavier, Les fantômes familiaux, disponible désormais en poche chez La Petite Bibliothèque Payot et paru en 2014.
J’ai déjà présenté la notion de fantôme transgénérationnel comme une structure psychique émotionnelle résultant d’un traumatisme. Il semble qu’elle soit « expulsée » par l’ancêtre qui n’a pas pu la métaboliser, la dépasser, la transcender. Certains auteurs parlent de « patate chaude », je préfère évoquer l’image d’une « grenade dégoupillée » : elle peut être transmise de génération en génération sans faire de dégâts visibles jusqu’a ce qu’elle éclate sous la forme de phénomènes pathologiques incompréhensibles. Ainsi, le deuil impensable d’un parent qui a perdu son enfant peut être repris par l’un ou l’une de ses descendants et fréquemment, plusieurs générations après. La plupart du temps, le souvenir conscient du trauma ancestral s’est perdu, car la personne traumatisée, entrée dans un vide psychique, dnas un état d’insensibilité, ne peut plus témoigner de la violence émotionnelle de ce qu’elle a subi. L’effet de ce trauma ancestral au sein de la famille est très bien décrit par Delphine de Vigan dans Rien ne s’oppose à la nuit, où elle évoque la mort de son oncle alors qu’il était enfant : « Désormais la mort d’Antonin ne serait plus qu’une onde souterraine, sismique, qui continuerait d’agir sans aucun bruit. »
Félicitations pour cet article dont tous les mots sont pesés délicatement. Tu abordes un sujet sensible avec beaucoup de précautions, ton point de vue nuancé m’apparaît très juste.
Il faut s’attendre à découvrir des secrets lorsqu’on mène l’enquête généalogique. Il demeure délicat de les mettre à jour auprès des contemporains. Sauf s’il a une formation personnelle, le généalogiste ne peut pas jouer le rôle d’un psy et ouvrir la boîte de Pandore en écoutant les confidences. Mais les histoires que la recherche va révéler sont passionnantes, il est utile de les prendre en considération.
Bonjour Marie,
D’abord merci pour le commentaire, qui a le mérite d’ouvrir le débat. Tu as tout à fait raison, il est parfois délicat d’évoquer d’éventuels secrets de famille auprès de contemporains, et lorsqu’il s’agit de ta propre famille, et quand il s’agit de clients – ce qui m’est déjà arrivé !
Je partage ton point de vue sur la formation en psychologie clinique et j’ajouterai même qu’il faut d’abord passer par une analyse personnelle pour comprendre certaines choses – on parle bien ici de psychanalyse. Après, n’oublions pas qu’un thérapeute n’est pas là pour soigner, mais pour accompagner le souffrant sur le chemin de l’aller mieux. La nuance est importante. Le travail personnel, chacun le fait à son échelle, un tiers ne peut évidemment pas faire le boulot à notre place 🙂
Je suis totalement d’accord avec ce que tu écris là. Dans cette relation, avec un client ou un cousin ou même un ami, qui peut se révéler délicate, il vaut mieux être au clair avec soi-même et son histoire perso.Ok pour l’analyse !
J’aime beaucoup ton billet ! Très réfléchi, nuancé et construit, avec les limites que tu te fixes.
Salut Marion, merci beaucoup pour le commentaire et le compliment 🙂
Félicitations pour cet article. Il résume très bien mon opinion sur cette discipline. Vaste sujet passionnant!
Merci Aurélie pour le commentaire, au plaisir !
Bonjour,
Je viens de découvrir avec intérêt votre article. Pourriez-vous me conseiller des livres, en plus de celui de Bruno Clavier?
Belle continuation.
Bonjour Monique,
Bien sûr, je vous invite à vous rendre ici : https://twitter.com/grenierancetres/status/870595304080408576
Dans le cadre du Challenge AZ 2017, je propose des threads quotidiens sur le thème de la psychogénéalogie : la lettre B était consacrée à la bibliographie (je ne sais pas si vous êtes sur Twitter mais nul besoin d’être inscrit pour dérouler le fil des tweets).
Bon dimanche,
Guillaume