En cette fin de mois d’août, je souhaite lancer un nouveau rendez-vous : #AdopteUnAncêtre. Le principe est simple : partir sur les traces d’un individu qui a la particularité de… ne pas être votre ancêtre. Pouvant être une personnalité de votre région, un inconnu illustre en son temps ou un illustre inconnu sur lequel vous tombez par hasard dans un registre, au gré de vos recherches. Pour ce nouvel exercice, aucune périodicité : vous publiez quand vous le souhaitez, quand vous le pouvez, quand l’envie vous vient. Si elle vous vient. Afin que l’on puisse identifier l’exercice, je vous suggére simplement de faire figurer le #AdopteUnAncêtre, et sur votre blog, et lorsque vous partagez l’article sur les réseaux sociaux. Mais il n’y a aucune obligation.
Pour ce premier exercice, je veux vous parler d’une personnalité de Saint-Jean-de-Maurienne, où je suis né et où j’habite. Père de la médecine légale, rien que ça, François-Emmanuel Fodéré y serait né en 1764 (1). Élevé par sa mère, Marie Nicole Vectier, François-Emmanuel n’a jamais connu son père, Barnabé, mort à Lyon quelques mois plus tôt. La famille Fodéré est originaire de Bessans, en Haute Maurienne. François-Emmanuel suit ses études classiques au collège Lambert, à Saint-Jean-de-Maurienne, où il fait bonne impression. Remarqué par l’intendant de Maurienne, le chevalier de Saint-Réal, Fodéré réussit à obtenir une place au collège royal de Turin, où il commence à étudier la médecine. Ses talents et sa réputation lui valent même une sorte de bourse de la part de Victor-Amédée III (1726-1796), alors roi de Sardaigne et duc de Savoie. Grâce à cet argent, Fodéré se rend ainsi dans la capitale de France, où il vit modestement tout en continuant d’apprendre. Après la Révolution française et le rattachement de la Savoie à la France, Fodéré est engagé dans l’armée des Alpes. Il est reçu à Marseille par un praticien de renom, le docteur Moulard. Se prenant d’amitié pour le médecin militaire qu’était Fodéré, Moulard lui « offre » la main de sa fille aînée, Madeleine Joséphine Moulard. Le mariage est célébré en février 1793 à Marseille. Plus tard, à propos de sa femme, Fodéré écrit :
Ton âme élevée a souvent soutenu mon courage. Tu n’ignorais pas que les sentiments généreux, que la science sans bassesse, la vertu sans intrigues, la vérité sans mensonges, ont presque toujours conduit à la pauvreté, objet d’effroi pour nos contemporains, et la pauvreté ne t’a pas effrayée ! »
Cité par Luc Ducros, dans Notice historique sur la vie et les travaux du Docteur Fodéré, Paris, 1845, p.13
Un temps médecin à l’hôpital militaire d’Embrun, dans les Hautes-Alpes, où il rédige en septembre 1794 un Mémoire sur une affection des gencives et de l’intérieur de la bouche endémique parmi les troupes de l’armée des Alpes (2), Fodéré revient à Marseille où il remplit les « fonctions de médecin de l’Hospice d’humanité et de celui des insensés » et il où il enseigne « l’anatomie et la physiologie » (3).
Auteur de plusieurs ouvrages et déjà largement reconnu pour son travail, il publie en 1798 son Traité de la médecine légale (4) :
Les autres ouvrages de Fodéré l’avaient déjà placé au rang des hommes les plus éminents par leur science ; mais son traité de médecine légale fut son véritable titre de gloire et lui assura l’immortalité. Il créa pour ainsi dire une science nouvelle et mérita d’être surnommé par les Académies et les Facultés de médecine « le père de la médecine légale » (5).
En 1804, alors qu’il réside à Martigues (6), Fodéré est appelé en urgence pour soigner un certain Charles IV, roi d’Espagne, arrivé malade à Marseille. Une fois la chose faite, le Bourbon d’Espagne souhaite emmener avec lui son désormais médecin-sauveur pour Rome, mais ce dernier refuse, ne voulant pas abandonner sa famille. Une dizaine d’enfants naissent en effet de l’union Fodéré-Moulard. Quelques années plus tard, ayant pris le trône à Charles IV, Ferdinand VII, détenu avec son frère Don Carlos et leur oncle Don Antonio au château de Valençay, sollicite la visite de Fodéré auprès de Napoléon.
Après une longue attente, Fodéré fut autorisé à se rendre auprès d’eux. Arrivé au château, il y vécut dans l’initimité des princes et chercha à alléger la tristesse de leur situation. Mais ce séjour ne pouvait convenir au caractère de Fodéré. L’espionnage entourait le château. Continuellement interrogé par les agents de police, observé dans toutes ses démarches, il sollicita et obtint au début de 1813 la permission de le quitter » (7)
En 1814, une chaire de médecine légale devient vacante à la faculté de Strasbourg. Rien ne peut alors retenir l’homme à l’origine de cette nouvelle discipline. Il réussit les concours avec brio et s’y installe. Les années qui suivent sont très prolifiques pour le médecin qui publie ouvrage sur ouvrage, tantôt sur telle épidémie, tantôt sur la folie. En 1825, il publie même un Essai historique et moral sur la pauvreté des nations, qui lui vaut non seulement le suffrage de l’Académie des sciences mais aussi une lettre du pape Léon XII. L’un de ses biographes, Luc Ducros, précédemment cité, écrit :
À peine si dans cette vie remplie de toutes les nobles études, le docteur Fodéré a connu le repos. Habituellement il se couchait à deux heures après minuit ; l’été comme l’hiver, il se levait avec le jour. La pratique de son art, les visites aux malades, les fonctions de l’enseigneiment remplissaient toute sa journée. Le temps dont il avait besoin pour continuer ses nombreuses recherches et pour composer ses oeuvres, il le dérobait au sommeil. Les vacances n’étaient pour lui qu’un simple changement dans l’ordre ou dans la nature des travaux. Il ne savait se reposer qu’en passant d’une occupation utile, importante, à une autre occupation qui, souvent, l’était encore davantage. »
Luc Ducros, dans Notice historique sur la vie et les travaux du Docteur Fodéré, Paris, 1845, p.24
Âgé de 71 ans, François-Emmanuel Fodéré meurt à Strasbourg le 4 février 1835 à 4h du matin au 46 de la place d’Armes. Il est inhumé au cimetière Sainte-Hélène.
Malgré tant de services rendus à la science et à l’humanité, le docteur n’obtint jamais de distinction du Gouvernement ; ce qui est plus surprenant, on n’accorda aucun secours à ses enfants, qui se disaient par la voix d’une de ses filles, plus fières d’être pauvres et de porter le nom de Fodéré, que de vivre dans l’opulence et ne pouvoir se glorifier des vertus de leur père. […]
La société linéenne et géographique de Leipzig, apprenant la mort du Docteur Fodéré, décida qu’on donnerait son nom à la première fleur que l’on découvrirait et qu’on appellerait « foderea ».
Glorieux de compter Fodéré parmi ses compatriotes, le Conseil de Ville de Saint-Jean-de-Maurienne décida de lui élever un monument, ouvrit une souscription et nomma une Commission chargée de l’érection. La fête eut lieu en 1846, la place où se dresse la statue a été appelée depuis : place Fodéré. (8)
Connaissiez-vous le père de la médecine légale ? Saviez-vous qu’il était originaire de Maurienne ? Non ? Sa vie, son action et son histoire méritaient largement qu’on lui consacre un article, aussi incomplet soit-il tant il pourrait y avoir matière à raconter.
Notes :
(1) Si toutes les biographies consultées parlent du 8 janvier 1764, dans les registres de la paroisse Notre-Dame de Saint-Jean-de-Maurienne, nous retrouvons le baptême d’un enfant s’appelant Joseph Benoît, le 15 février 1764. Ses parents, Barnabé et Marie Nicole Vectier, correspondent aux parents de François-Emmanuel. Source : AD de la Savoie en ligne, 3E 397, folio 87, vue 91/405.
(2) Disponible via Gallica ici.
(3) D’après les Travaux de la Société d’histoire et d’archéologie de la province de Maurienne, 1956, p.63. Ils reprennent en substance ce qu’a écrit le docteur Antoine Mottard, dans Notice historique sur la vie et les travaux du professeur Fodéré, Chambéry, 1843.
(4) Le Traité est ensuite réédité en six volumes entre 1813 et 1815, disponibles là aussi sur Gallica.
(5) D’après les Travaux de la Société d’histoire et d’archéologie de la province de Maurienne, op.cit., p.64.
(6) C’est en menant les recherches sur Fodéré que je me suis rendu compte que Fodéré a alors exercé la médecine à Martigues, ville d’origine d’une de mes ancêtres, Thérèse Geneviève Fouque (1776-1840) : son grand-père maternel, Joseph Dejean, y était maître-chirurgien dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Heureux hasard !
(7) D’après les Travaux de la Société d’histoire et d’archéologie de la province de Maurienne, op.cit., p.65.
(8) Ibid., p.68
Bonjour,
Merci de votre article sur Joseph Benoit dit François Emmanuel FODERE. Il fait partie de ma lointaine parentèle et figure à ce titre dans mon arbre généalogique, malheureusement pas en ligne. Comme lui, mes ancêtres sont originaires de Bessans (Maurienne – Savoie).
Cordialement
G. PERSONNAZ
Bonjour Ghislaine,
Merci pour ce message, et au plaisir d’échanger avec vous sur la vallée !