Il y a 159 ans, jour pour jour, le navire « Mataro » larguait les amarres et s’éloignait du Havre, lentement, laissant derrière lui une traînée de fumée blanche. Il y a 58074 jours exactement, Étienne Brunet, tu voyais le Vieux Continent pour la dernière fois, en avais-tu seulement conscience ? Regardais-tu le quai s’éloigner, pensif et interrogatif ? Ou plutôt contemplais-tu l’horizon s’ouvrir à toi, en prenant des respirations remplies de promesses ? Six semaines te séparaient alors du continent américain et de la Nouvelle-Orléans, où tu débarqueras le 5 décembre 1858.
Étienne Brunet, c’est mon grand oncle. Ou plutôt l’oncle de mon arrière-grand-mère. Parti de Saint-Sorlin-d’Arves avec trois autres hommes du pays, il avait décidé, à l’automne 1858, de rejoindre le Nouveau Monde, d’aller tenter sa chance dans les mines aurifères de Californie. Aîné de sa fratrie, il faut noter qu’un signe étrange de ce destin extraordinaire se cachait dans la date de mariage de ses parents, unis un 4 juillet, jour de l’indépendance américaine. Mais ça, personne n’y a sans doute jamais prêté attention. En partant ce 23 octobre 1858, ce jeune homme de 24 ans présumait-il que plus jamais ses pieds ne fouleraient le sol de sa Maurienne natale ? Que plus jamais ses yeux ne se poseront sur les siens ? Évidemment, non. Du moins, je ne le pense pas.
Ironie du sort, à 24 ans aussi, son arrière-petit-neveu prenait lui aussi le large à sa manière en découvrant des lettres écrites il y a plus d’un siècle. Intactes, comme si elles avaient été écrites hier et pour cause, elles étaient soigneusement conservées au fond d’une modeste boîte en bois, au milieu d’autres papiers de familles. Étienne aurait-il pu alors présumer que son histoire inspirerait un descendant lointain au point de vouloir reconstituer toute sa trajectoire ?
Ah, Étienne, j’ai passé des heures incalculables à te lire, à te poser des questions, à y répondre parfois en m’appuyant sur telle ou telle étude, sur telle ou telle archive. À expliquer à tel ou tel membre de mon entourage ton parcours, tes choix, tes mots, tes expressions, ta vie. Et au fond tu sais pourquoi ? Pas du tout pour restaurer une quelconque vérité, ni même afin de prétendre savoir qui tu étais… Qui le pourrait ? Non, simplement parce que ton destin contient en lui toutes les aspirations que peut contenir une vie humaine. Et c’est intemporel. Que tu l’aies vécu en 1858 ou qu’on le vive aujourd’hui, rêver d’une vie meilleure pour ses proches et soi, partir en quête de son propre bonheur, c’est là l’essentiel de notre existence.
Si j’ai voulu écrire ton histoire, publier un livre en le titrant avec tes propres mots, c’est bien parce que la résonnance de ton destin dépasse largement le cadre de notre famille. Et j’attends avec impatience le jour où je foulerai la terre qui t’a tant fait espérer ces années durant. Puissent tes nobles aspirations contribuer à ce que d’autres, les nôtres, se révèlent à nous… 159 ans plus tard.
Votre histoire m’intéresse à plus d’un titre. J’ai aussi un grand-oncle qui est parti aux Etats-Unis (en Floride, à Key West), dont je raconte la vie dans mon blog « lachainedesgenerations.blogspot.com », et en plus j’ai passé toutes mes vacances d’enfant en Maurienne, à Aussois, où j’ai gardé de nombreux contacts. Je suis impatiente de lire l’histoire de votre ancêtre, forcément différente de celle de mon ancêtre, mais avec sûrement bien des points communs. Au plaisir de vous lire !
Bonjour Nicole, je suis très content de voir que l’histoire de mon grand oncle trouve vous interpelle et vous renvoie à votre propre histoire familiale. Merci pour votre message et au plaisir de vous rencontrer peut-être un jour en Maurienne !