Des vérifications et des mystères
Continuons à parcourir le livret transmis à mon arrière grand-mère par sa cousine. En 1300, lorsque mon ancêtre Jean Rodier achète un mas, il est précisé :
Il doit promettre de ne jamais vendre ses terres au prieuré d’Ispagnac même s’il y a un changement de seigneur. Il doit jurer tout ceci sur les Saints Evangiles et faire hommage et garder fidélité et à genoux devant le seigneur Etienne de Mundo et les siens et devant témoins dans la maison de maître Capelan et maître Etienne Blancard, notaires publics. »
Si je ne doute pas de la bonne foi de ma lointaine cousine qui se base a priori sur des archives retrouvées aux Archives départementales de la Lozère à Mende, j’ai du mal à vérifier et identifier les lieux et les personnes qu’elle cite. D’abord sur le lieu, ce mas jouxterait le mas de « Volpillos, appartenant déjà aux Rodier et acheté à noble dame Hélis de Jalès. » Si je me réfère au Dictionnaire géographique de la Lozère, je trouve un toponyme Volpilhous, situé dans la commune de Florac. J’imagine que c’est bien de ce mas qu’il s’agit ici, Florac se situant à moins de 10 kilomètres au sud-est de la commune d’Ispagnac.
Ce mas acheté en 1300 se localiserait donc aux abords d’Ispagnac. Il aurait été vendu par un seigneur appelé Etienne de Mundo. Là, pour le coup, je pense qu’il y a confusion. Je ne retrouve déjà aucun seigneur de Mundo dans la région. En revanche, il existe bien une seigneurie de Budos qui exerce son influence dès le XIVe siècle dans la région d’Uzès (notice historique de la famille de Budos) mais il n’est jamais question d’un Etienne. À ce stade des recherches, vous comprenez les limites d’Internet : une visite aux AD de la Lozère pourrait sans doute m’éclairer davantage.
Avançons dans le temps et dans la lecture du livret :
En 1516, au moment du Concordat et des guerres d’Italie, le 9 avril, sous le règne de François 1er, Pierre Rodier, le fils cadet de Jean, a une terre à Fontanès et il jure sur les Evangiles de Dieu de prendre en mariage Catherine Valadier qui lui apporte en dot des champs, des pâtures, des bois et une somme de 15 livres tournois. Le voilà aussi riche que son frère aîné Jean. […] Après le mariage de Pierre Rodier et Catherine Valadier, le couple habite le mas de Zinzelles dans la paroisse de Fontanès et c’est là que naît leur fils Pierre, en 1518. Puis les fils se succèdent, ce sont naturellement des Pierre (fils aîné qui aura les terres). En 1570, un mariage entre Pierre et Marianne Pellet agrandit encore le domaine. »
Ici, je me suis servi des inventaires proposés en ligne par les AD de la Lozère. Ainsi, dans la série E, j’ai pu remarquer deux documents très intéressants :
- une transaction passée entre Catherine VALADAYRE et Pierre Rodier, de Sinzelles en 1516 : c’est sans doute ce document que ma lointaine cousine a consulté à l’époque. Mais Catherine s’appelle en réalité VALADAYRE et non Valadier. Puis le mas de Sinzelles, après une consultation du Dictionnaire géographique de la Lozère se situe bien dans la paroisse de Fontanès (aujourd’hui, Fontanès a été intégrée à Naussac : la commune s’appelle donc Naussac-Fontanès et se situe en dehors des Cévennes, dans le Nord-Lozère, presqu’à la frontière de la Haute-Loire).
- un testament de Jeanne BATIFOLLIERE, femme de Jean Rodier, du lieu de Sinzelles, paroisse de Fontanès (1627). J’en déduis, peut-être à tort, que ce Jean est un descendant direct ou collatéral du couple Rodier-Valadayre.
Pour autant, difficile de savoir si ces individus sont mes ancêtres en ligne directe ou non. Pour tout dire, cela est même impossible à vérifier en l’état actuel des ressources que j’ai à disposition. On poursuit :
En 1675, Rodier Pierre, ministre en religion, préside le synode des Cévennes à Anduze. »
De nouveau, confusion. Grâce à Gallica, il m’est possible de consulter un fonds documentaire exceptionnellement grand, dans lequel je trouve La France protestante, publié en dix volumes entre 1846 et 1859 par les frères Haag, historiens français protestants. Dans le volume VIII, je peux lire :
Rodier (N.) : ministre de Tornac, fut appelé à présider le synode des Cévennes et du Gévaudan qui se tint à Anduze le 19 juin 1675 […] Ce synode fut très nombreux ; soixante-cinq églises y envoyèrent leurs députés : […] »
Source : HAAG, Eugène et Emile, La France protestante…, Paris, 1846-1859, vol.VIII, p.464. Disponible en ligne.
Ainsi, il ne s’agirait pas d’un Pierre Rodier, mais d’un N. Rodier. Les frères Haag ont pu se tromper dans le prénom mais ce qui me met définitivement le doute quant au fait qu’il s’agisse d’un Pierre Rodier est la localité : Tornac, qui se situe dans le Gard. Pour autant, l’auteure du livret précise bien qu’elle a consulté les archives de Mende… et de Nîmes. De plus, les protestants de Lozère sont évidemment représentés par leurs ministres et parmi eux figure peut-être un Pierre Rodier. Cela reste à vérifier.
Pierre Rodier à cette époque avait un frère Antoine qui s’était engagé dans la Maréchaussée et était même devenu prévot à Mende. Celui-ci eut un fils Antoine qui devint notaire à Barre [Barre-des-Cévennes] et ce dernier eut un fils Privat qui devint notaire à Florac. »
En effet, toujours grâce à Internet, je retrouve bien trois Rodier notaires : Antoine, Privat et même un Pierre. Mais attention aux confusions et aux homonymes. Comme la cousine le présente, Antoine serait le frère du Pierre soi-disant président du synode en 1675. Or, les dates ne correspondent pas : Antoine aurait exercé entre 1596 et 1615 à Barre ; Privat, de 1678 à 1741 à Florac ; et ce Pierre de 1744 à 1773 à Florac aussi. Ainsi, le Antoine dont il est question ne peut pas être le frère du Pierre ministre en religion. Toutefois, Antoine est sans doute le frère du père voire du grand-père de ce Pierre.
Un procès sous fond de Guerres de Religion ?
Après le massacre de Fraissinet-de-Fourques en 1703, la cousine explique :
Pour comble de malheur, les terres des Rodier sont convoitées par leurs voisins catholiques. Parmi ceux-ci, Abraham Méjean, sire de la Rouvière, qui voudrait leurs terres et leur fait des procès (au sujet d’herbes à pâture pour les moutons, de prix d’un chemin qui traverse les terres de Méjean, des fruits d’un verger mitoyen, etc etc.) Cela durera 25 ans. Pierre Rodier et Jean son frère sont soutenus par tous les autres voisins et même par Rampon, de Paris, cousin de Méjean, qui lui écrit une lettre à ce sujet. Mais rien n’y fait, le procès suit son cours. Il faut attendre 1732 pour que soient déclarés Jean, Antoine et Pierre « sincères » et ils gagnent leur procès (200 livres et quelques sols). »
Ici, il s’agit bien du Pierre de Ferrières puisque, plus loin, lorsque la cousine explique que sa grand-mère Jeanne Borelly lui propose de récupérer ses terres à sa mort, il s’engage à dédommager ses deux frères.
Mais, hélas, les descendants d’Abraham Méjean mécontents de la fin des procès entre Pierre Rodier s’attaquent aux enfants de Pierre et veulent saisir leurs biens. Entre ces nouveaux procès et les besoins du roi Louis XV et par représailles contre ceux qui abritent ou ont abrité des Camisards, les localités de l’Acrole, Fabreguettes, la métairie Rodier, la Rouvière, le Villard […] sont imposées pour 291 livres. […] Peu à peu, l’animosité entre catholiques et protestants disparaît. On respire un peu mieux. Mais les descendants de Pierre Rodier doivent payer aux descendants d’Abraham Méjean « les condamnations » autrement il sera aisé de saisir sur leurs bien et même emprisonnés. »
Il faut attendre les années 1790 pour que les rivalités entre les deux familles disparaissent :
Une fille de Jean Rodier, Jeanne, épouse un descendant d’Abraham Méjean et la paix règne entre les deux familles. Enfin ! »
Si je n’ai aucun moyen de vérifier les dires de ma lointaine cousine, je crois plausible tout ce qu’elle raconte. Abraham Méjean est bien seigneur de La Rouvière : un fonds, concernant le XVIIIe siècle, est même disponible aux AD de la Lozère. Par hasard, en parcourant les registres paroissiaux de Saint-Hilaire-de-Lavit, j’ai trouvé le mariage d’un Antoine Rodier en 1734. Fils d’un Pierre, il est originaire du mas Méjean de la paroisse d’Ispagnac. Je n’ai pas réussi à le relier directement mais il est très probable qu’il fasse partie de ma famille Rodier d’autant qu’à Ispagnac, les Rodier semblent être présents depuis 1300 et le fait que cet Antoine vienne du mas Méjean me conforte sur cette piste.
Frustration et recomposition du puzzle
En trois articles, vous avez pu voir à quoi peuvent ressembler des recherches généalogiques. Pour celles-ci, j’ai eu la chance de m’appuyer sur un document familial et le travail réside d’abord dans le fait de vérifier tout ce qui est dit et de critiquer cette source comme une source à part entière. De cette manière, et grâce à Internet, le but du jeu est de recomposer le puzzle familial en infirmant ou confirmant certaines informations et, bien sûr, en en récoltant d’autres.
Frustration dans un deuxième temps car vous voyez qu’Internet ne fait pas tout et ne constitue pas l’outil ultime du chercheur, loin s’en faut. Désormais, si je veux continuer à avancer – et je pense qu’il est possible d’avancer encore beaucoup dans cette histoire – il faut que je me rende sur place. D’abord aux Archives départementales de la Lozère, puis dans les différentes localités citées afin de trouver d’autres pistes, d’autres sources et surtout d’autres informations.
Vous l’aurez compris, je n’ai pas fini d’être sur les traces des Rodier !
Malheureusement, j’ai assez peu de photos de la famille Rodier, l’épisode algérien ayant dispersé et fait disparaître beaucoup d’archives familiales. Toutefois, j’ai une photo d’Elisa Rodier, la dernière de ma lignée à porter ce nom, la mère de mon arrière grand-mère. Son regard bienveillant n’en demeure pas moins mystérieux, exactement à l’image des recherches et de la vision que je porte sur cette branche de mon ascendance.
J’ai fort apprécié ces épisodes,
à suivre apparemment !
Merci, oui à suivre en effet dès la semaine prochaine 😉