#RDVAncestral n°18 – Monsieur X

#RDVAncestral n°18 – Monsieur X

Vue générale de Saint-Sorlin-d’Arves, au début du XXe siècle. Coll. familiale Chaix. Tous droits réservés

Je me suis toujours demandé combien de points lumineux pouvaient scintiller dans le ciel une fois le soleil passé derrière les montagnes. Est-ce moi qui contemple cette vaste immensité ou l’inverse ? Un jour, mon père m’a dit que les étoiles traversent les âges et que celles qui brillent aujourd’hui, brillaient déjà au temps de nos lointains ancêtres. Ce qui veut dire que cette casserole, mon aïeul le plus reculé s’amusait peut-être à la suivre déjà du doigt, seul, allongé dans les champs, comme c’est le cas pour moi en plein cœur de l’été.

C’est drôle car ces étoiles me font justement penser à celles et ceux qui sont passés avant moi. Discrètes veilleuses de nuit, toujours prêtes à se laisser observer même pour les gens qui n’y comprennent pas grand-chose, comme moi. Elles orientent, elles guident, elles rassurent parfois, elles éclairent. Comme pour les étoiles, je ne sais pas grand-chose de mes ancêtres mais je les connais. En mon for intérieur, je sais qu’ils rayonnent. Un jour peut-être, un lointain descendant se demandera qui j’étais, moi, le père inconnu de celle qu’on a appelé Marie-Françoise. Dans notre petit village, tout se sait mais les secrets sont bien gardés. Parole d’homme. Suis-je homme de bien ? Qui pour me juger ? Là, une étoile filante !

Je suis l’inconnu d’une opération mathématique pourtant bien résolue. Un bâillement sans retenue, un sourire, puis un bref assoupissement. Une soirée intemporelle, que je souhaite à tous de vivre au moins une fois.

La vie n’a pas besoin d’identité, ces étoiles ont-elles un nom ? On les nomme mais personne ne sait vraiment qui ils sont. Il en sera de même pour moi. Peut-être me croisera-t-on ici ou là dans tel pan de l’histoire familiale mais je ne serai jamais percé à jour. J’aime cette idée-là, finalement. Et puis identifier un homme ne signifie pas pour autant le connaître. Je suis né dans un XIXe siècle en pleine mutation ; l’industrialisation commence à gagner toute la vallée de la Maurienne. Le monde change. Les gens aussi. Aussi bien d’où je regarde les étoiles, à Saint-Sorlin-d’Arves, que partout ailleurs.

J’ai aimé Clémentine, le temps d’un instant, le temps de cette étreinte. Qui a déterminé la descendance qui réfléchira peut-être à moi dans les prochaines décennies, dans les prochains siècles. Je l’ai aimé au point d’accepter sa proposition de lui donner un enfant. Comme un service rendu. Un drôle de service : la vie.

Un silence rompu par des éclats de rire venant de tel chalet d’alpage. Ah, les veillées restent une véritable institution dans nos montagnes. Nos belles montagnes qui subliment le ciel que je contemple chaque soir comme si c’était la première fois. Marie-Françoise, un indice de mon identité se trouve peut-être dans le prénom de ma chère petite qui grandira sans savoir qui je suis. Les François sont des « hommes libres », eh bien, que ceux qui le voient puissent en attester (1).

Je m’appelle X et aujourd’hui, 13 septembre 1898, j’ai rendez-vous avec le ciel.

***

14 septembre 2018, sous un magnifique ciel étoilé. – Je dois rédiger mon 18e #RDVAncestral pour demain et ne sais toujours pas quel ancêtre rencontrer. Et si je cherchais du côté de mon SOSA n°18 : X. Comment imaginer une rencontre avec X ? Un bâillement sans retenue, un sourire, puis un bref assoupissement. Un coup d’œil vers le ciel. Tiens, je me suis toujours demandé combien de points lumineux pouvaient scintiller dans le ciel une fois le soleil passé derrière les montagnes… Là, une étoile filante !

L’arbre qui cache la forêt.

 

Notes

(1) Selon la mémoire familiale, celui qui aurait mis enceinte mon arrière arrière-grand-mère ne serait autre que… son beau-frère, François Marie Balmain, mari de sa soeur. Il est évidemment difficile de savoir exactement ce qu’il s’est passé. On a toujours dit que mon aïeule, Clémentine, « réclamait » une descendance afin que le patrimoine familial ne change pas de famille (et de nom), ses deux frères, Étienne et Joseph étant partis en Amérique. Légende ou réalité… Bien malin celui qui pourra percer le mystère.

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6 commentaires

  1. Un #RDVAncestral touchant et plein de poésie. La tête dans les étoiles, on se met à rêver, à penser à nos lointains ancêtres. J’aime à penser également que nos aïeux pouvaient ressentir une profonde émotion lorsqu’ils contemplaient le firmament.
    Et peu importe qui est ce monsieur X…

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