L’histoire commence au détour d’une recherche sur mes ancêtres lyonnais en août dernier. En fin de table de l’année 1758 dans la paroisse Sainte-Croix, surprise ! Deux anges au regard serein, calme, accompagnés d’un vieillard.
Joli dessin retrouvé ce matin au détour d'une recherche dans la paroisse St-Croix à Lyon @ArchivesdeLyon #Généalogie pic.twitter.com/j3rDFWEawB
— Guillaume Chaix (@grenierancetres) August 20, 2016
Puis, il y a quelques jours, je retombe sur un nouveau dessin, toujours en fin de table mais cette fois-ci concernant celle de l’année 1756. Après publication sur Twitter, comme je le fais de temps en temps quand je découvre des petits trésors similaires, je repense au dessin d’août et me rend finalement compte qu’il s’agit de la même paroisse, de la même période et… sans doute du même dessinateur.
#TrésorDeGénéalogie Paroisse Sainte-Croix, 1756, Lyon. Tomber sur un arbre en généalogie, ça ne s'invente pas… @ArchivesdeLyon pic.twitter.com/kmyuwHVozM
— Guillaume Chaix (@grenierancetres) November 23, 2016
J’interroge alors la base des Archives municipales de Lyon pour la paroisse Sainte-Croix et je tombe sur une dizaine de dessins, la plupart du temps insérés en fin de table annuelle mais parfois aussi en fin de registre paroissial. Des petits bijoux. Le coup de crayon commence à partir de 1752 et 1753, timidement.
Puis, en 1754, on découvre un premier paysage. Peut-on dire qu’il s’agit là d’une vue de la presqu’île ? En effet, l’ancienne église Sainte-Croix se situait – elle a été partiellement détruite au XIXe siècle – juste à côté de la cathédrale Saint-Jean actuelle, dans le Vieux Lyon, qui borde quasiment la Saône. Serait-ce donc le quai des Célestins ?
En 1755, le coup de crayon esquisse deux portraits, celui d’un ange, qui semble regarder vers le Ciel, et celui d’un démon aux cornes de bélier et au regard sombre, imperceptible. Il est intéressant de noter que tout sur le personnage du haut semble s’élever, y compris les cheveux, alors que sur le portrait démoniaque, tout est dirigé vers le bas, jusqu’au bouc en pointe.
En 1756, retour à un paysage, le coup de crayon semble, comme en 1754, quelque peu hésitant. Le dessin nous montre quelques arbres, dont un particulièrement massif. À gauche, que doit-on deviner ? L’église Sainte-Croix ?
En 1757, le trait est beaucoup plus fourni, plus précis aussi. La croix dessinée sur la porte de l’édifice représenté nous montre certainement une église, un édifice religieux en tout cas, avec un clocher attenant. Pour s’y rendre, un pont, en tout cas ce que l’on imagine comme tel. Tout autour, une nature abondante et riche.
Je ne reviens pas sur le dessin de 1758, si ce n’est que l’on retrouve bien une similitude des traits de l’ange dessiné en 1755, ce qui laisse supposer qu’il s’agit bien du même auteur.
1759, mon dessin préféré, celui qui me laisse le plus songeur. Je l’ai appelé, sans aucune originalité, Le pêcheur. Vous noterez le double sens. Un homme assis, concentré, tenant fermement sa canne (à deux mains). Devant lui, le strict nécessaire. Entouré d’eau, et d’une nature toujours aussi prégnante, l’homme est positionné au centre de l’image, dans des proportions égales à celles de la végétation. En revanche, la barque, ce qui ressemble à une barque, elle, est étonnamment petite. Je vous laisse être sensible aux éventuels messages que l’auteur a voulu faire passer.
En 1760 et 1761, de nouveau un paysage. Le premier montre deux édifices, le premier me fait penser une nouvelle fois à une église. Une nature toujours là, omniprésente et l’eau qu’on devine couler sous la voûte. Le deuxième en revanche est plus démonstratif : un pont, une entrée – celle amenant au Vieux Lyon actuel ? -, des fortifications en arrière-plan, de l’eau, des arbres et même des oiseaux qui partent ou qui arrivent. La tâche derrière l’arbre, sans doute involontaire, rappelle même un semblant de soleil.
Puis, en 1762, trois portraits. Les Trois Mousquetaires avant l’heure, très en avance – l’oeuvre de Dumas date de 1844 ! Que veut représenter l’auteur ? Nous ne sommes plus dans l’imagerie religieuse, les anges, les démons, la nature, les paysages…
En 1763, de nouveau un pont, en plan plus rapproché cette fois. Les détails semblent être plus maîtrisés, la nature toujours omniprésente. Pour la première fois, le dessin apparaît en fin de registre paroissial et non en fin de table annuelle.
1764, l’inspiration s’en est allée, où au contraire est-elle en germe ? Le dessin est casé dans le coin inférieur droit de la page, en toute discrétion.
Enfin, car oui toutes les bonnes choses ont une fin, nous retrouvons pour la dernière fois notre artiste en fin d’année 1765. Le dessin ressemble plus à une esquisse : les trois personnages du haut rappellent les Trois Mousquetaires avant l’heure, ceux du bas semblent plus originaux : la lassitude de celui qu’on devine être une sorte d’ange à gauche illustre un dessin qui, pour la première et seule fois, n’abrite aucun élément naturel explicite. Pour la seconde et dernière fois, le dessin apparaît en fin de registre paroissial et non en fin de table annuelle.
Pour en arriver à rédiger un article, j’avoue avoir été un peu plus qu’interpellé par ces dessins, tous apparaissant entre 1752 et 1765. Dès 1766, on remarque par ailleurs que les tables annuelles ne sont plus tenues par le même auteur si on en juge par l’écriture. Qui était donc cet artiste ? Il est très difficile de le savoir : les dessins ne sont évidemment pas signés, plusieurs écritures se succédent au sein des registres paroissiaux… Après tout, peu importe. La récurence des dessins et leur qualité suffisent largement à calmer mes questions sans grand intérêt. En définitive, il n’est pas tellement rare de tomber sur un petit bout de dessin au coin d’un registre paroissial mais de cette ampleur, avec cette régularité, c’est assez exceptionnel.
N’hésitez pas à partager vos petits trésors dans les commentaires !
J’en profite également pour saluer le travail et la qualité des Archives municipales de Lyon en ligne. C’est un vrai plaisir d’y mener des recherches.
Super article comme toujours. Il me tarde de lire le prochain !
Bonjour Colline, merci beaucoup pour le mot et le suivi. Au plaisir !
J’adore ! Je kiffe !
Un curé du XVIIIe également artiste à ses heures perdues ? Un de ses assistants ? Un paroissien complice ?
L’enquête s’avère passionnante !
Il faudrait que tu te rapproches des services historiques de la ville de Lyon ou d’un universitaire de la faculté d’Histoire : les dessins, surtout ceux représentants des bâtiments et autres fortifications, peuvent donner quelques indices pour les situer avec précision. L’auteur ne les a certainement pas dessinés au hasard.
Quant aux personnages, je penche sur de jeunes étudiants de l’époque, des citadins certainement…
A suivre !
Merci Juloz pour le commentaire et tes remarques. Evidemment, les dessins sont à l’image de ce que voit l’artiste et pour ce qui est de la première vue sur le quai des Célestins, je suis à peu près sûr de moi. Pour le reste, oui, l’intervention et l’aide d’un universitaire ne serait pas de trop (y compris en histoire de l’art d’ailleurs). Au plaisir de te lire,
Guillaume
Superbe ! J’adore l’ange et le démon. J’aimerai bien connaître l’identité de cet artiste.
Merci Mickaël pour ton commentaire : l’enquête va continuer je pense 🙂
A bientôt sur le blog,
Guillaume
A la lecture de cet article fort bien illustré, j’ai ouvert ces registres en ligne sur le site des Archives de Lyon. Cela m’aurait plu de rencontrer des personnes connues…
Il importe de préciser que la cathédrale Saint-Jean n’est pas une église. Il n’y a pas de registre BMS pour la cathédrale. L’histoire de cette église Sainte-Croix mérite un article, elle est bien oubliée, on passe devant ses ruines sans les considérer.
En fait, l’église Sainte-Croix fut en partie détruite à la Révolution et au XIXe siècle et la cathédrale Saint-Jean, tu as tout à fait raison, n’est pas une église (j’ai rectifié la faute de frappe). Merci pour le commentaire !
Très intéressante mise en lumière de petites pépites.
Merci Fanny pour le commentaire !
Une tres belle découverte, merci de nous l’avoir faite partager.
Bonjour Simone et merci pour votre commentaire !