Je vous vois venir, petits malins ! L’année dernière, je consacrais mon Challenge à l’histoire d’Etienne Brunet, mon grand oncle parti en Californie en 1858, rejoint par son frère cadet en 1874. Et je consacrais notamment ma lettre K à la mort d’Etienne en l’intitulant killed by a cave.
[Petit résumé très très condensé pour celles et ceux qui n’ont pas suivi l’année dernière : parti de Saint-Sorlin-d’Arves en 1858 pour la Californie, Etienne Brunet cherche de l’or non loin d’un petit village qui s’appelle La Grange, dans le comté de Stanislaus. Rejoint par son petit frère Joseph en 1874, il décède dans sa mine, killed by a cave – tué dans un éboulement, en juillet 1879. J’écris depuis quelques mois un livre sur son histoire extraordinaire en m’appuyant notamment sur les lettres qu’il a écrites à sa famille dans les années 1860 et au début des années 1870.]
« Tu recycles, tu n’as pas d’inspiration… »
Calmons-nous ! Le but n’est pas de répéter ce que vous savez déjà, évidemment, mais justement de découvrir ce qu’il y a de nouveau dans mes recherches depuis juin 2015. Et Dieu sait que de sacrées découvertes ont été faites depuis.
Surtout du côté de son frère Joseph, en fait. Donc rentrons dans le vif du sujet en trois points clés, classés chronologiquement et par ordre de découverte : son dossier de succession (merci Diane !), sa mort (merci persévérance !), son dossier militaire (merci Isabelle !).
- Un dossier de succession très riche
C’est justement lors du Challenge 2015 que Diane découvre l’histoire d’Etienne et me propose d’effectuer des recherches sur les deux frères lors de sa virée dans l’Utah à la Bibliothèque familiale des Mormons. Bien entendu, j’accepte calmement la proposition…
Rendez-vous pris à l’automne 2015. Diane commence d’emblée par me dénicher le dossier de succession de Joseph : 68 pages. Autant vous dire que c’est à ce moment que je me suis mis à baver sur mon clavier, ne sachant plus où donner de la tête tant le dossier est prometteur. J’y trouve notamment un appel aux créanciers, qui, vous l’imaginez, se sont précipités pour réclamer leur dû – si, si, attendez de voir le point clé numéro 2 avant de dire que j’extrapole – des factures de toute sorte dont une émanant du croquemort, qui nous propulse dans l’univers d’Undertaker – comment ça vous ne connaissez pas Undertaker ?
J’ai été surpris de constater le nombre de possessions qu’a Joseph au moment de sa mort, ce qui contraste quelque peu avec l’image que j’avais d’Etienne. En gros, je pense que l’aîné a ouvert la porte au cadet et je ne peux m’empêcher de penser à Etienne quand je lis le dossier de succession de son frère. Malheureusement, en 1878, les successions ne se réglaient pas aussi formellement qu’en 1891 donc aucune chance de retrouver quoique ce soit sur la succession d’Etienne. Toutefois, j’ose espérer que Joseph ait pu récupérer l’argent et les possessions éventuelles de son aîné puisqu’à cette date, il est déjà en Californie depuis environ 4 ans.
- Une mort qui fait écho à celle d’Etienne
Début janvier 2016, après des mois de recherches infructueuses, je trouve ENFIN la mort de Joseph dans la presse locale californienne. C’était à peu près la mille et unième fois que j’interrogeais le système de recherche par mots-clés et un éclair m’est venu en ce début d’année 2016 – le champagne du 31, vous dites ? – : la mémoire familiale retient que Joseph, comme son frère, est mort par accident. Alors que je m’entêtais à chercher dans la base de données avec des « Joseph », « Brunet », « accident », j’essaye une autre tentative en partant d’un principe simple : je sais grâce au dossier de succession qu’il est mort à Merced le 1er août 1891. S’il est mort par accident, il doit forcément y avoir quelque chose. Alors je fais une recherche avancée dans la presse du 1er au 5 août 1891 en tapant simplement « Merced » : Bingo !
Traduction :
[Ligne 1] Il se brise la nuque.
[l.2] Un cultivateur chute fatalement dans un vieux
[l.3] puits.
[l.4] Merced, 1 août. – L’édition spéciale du Sun de Snelling de
[l.5] ce jour énonce : Un homme
[l.6] connu sous le nom de « Joe le Français », en train de travailler avec un
[l.7] groupe de cultivateurs du ranch de Olds & Barfields,
[l.8] a trouvé la mort ce matin de la manière
[l.9] suivante : quelque chose n’allait pas
[l.10] avec la machine, et Joe, après avoir fait les
[l.11] réparations nécessaires, a basculé en arrière,
[l.12] tombant dans un vieux puits de 100 pieds de profondeur, se brisant
[l.13] la nuque. La fortune de Joe est estimée à environ
[l.14] 10,000 dollars. Il avait environ 40 ans et
[l.15] n’était pas marié.
Tu m’étonnes que j’ai eu du mal à le retrouver, d’autant que j’ai beaucoup de chance en fait : c’est le San Francisco Call qui reprend un article du Sun de Snelling, ce dernier titre n’étant pas numérisé dans le fonds du CDNC.
Etienne est mort enseveli dans sa mine, dans sa 45ème année. Joseph, lui, se brise la nuque en tombant dans un puits, aussi dans sa 45ème année. Il y a parfois des coïncidences frappantes. Il était appelé Joe le Français : là encore, ça ajoute à la dimension et à l’univers western que je ne cesse de développer dans mon imaginaire quand je pense à l’histoire extraordinaire des deux frères. Enfin, l’article mentionne, presque de manière anodine, qu’il laisse une fortune de 10,000$ qui correspond, aujourd’hui, à près de 600,000$… Vous comprenez mieux les vautours autour de sa mort maintenant ? Sur les 10,000$, 3,000 arriveront à Saint-Sorlin-d’Arves : ce sont ses trois sœurs qui en hériteront. La mémoire familiale n’a, à ce sujet, absolument rien retenu.
- Un dossier militaire qui questionne
Dans le cadre de mon DU de Généalogie familiale, j’ai eu la chance de pouvoir consulter, grâce à Isabelle – une collègue de DU, le dossier militaire de Joseph, qui se trouve à Vincennes au Service Historique de la Défense (SHD) – dites SHD ça fait plus classe dans la conversation, faut toujours parler en acronyme quand vous pouvez ! J’y ai fait quelques belles découvertes : déjà, avant d’être dans le 11e régiment de Dragons, il était engagé dans le 5e régiment de Chasseurs. Il est arrivé au 11e le 8 février 1868 soit presqu’un an jour pour jour après qu’ait débuté son service militaire. Ensuite, attention grosse révélation…. vous sentez le suspens… Joseph a été « fait prisonnier de guerre à la capitulation de Metz le 29 octobre 1870, rentré des prisons de l’ennemi le 18 juin 1871, [promu] dragon 1e classe le 21 janvier 1872, brigadier le 25 avril 1872 et cassé et remis Dragon de 2e classe le 3 avril 1873. »
Que de révélations en effet, la mémoire familiale ayant totalement occulté le volet « prisonnier de guerre » : je vois désormais Joseph sous un autre jour, connaissant l’histoire de la guerre de 1870 et notamment le siège de Metz… Le fait qu’il ait été cassé et repassé en dragon 2e classe indique qu’il a dû y avoir une « embrouille » avec ses supérieurs, brigadier étant plus un titre honorifique qu’un grade. Vu la date, pourrait-on penser que Joseph n’a pas forcément bien pris l’instauration du principe de réserve, lui qui sert dans l’armée française depuis déjà 1867 ? Il ne reçoit pas de certificat de bonne conduite et est libéré de son service le 31 décembre 1873. Moins d’un an après, il s’embarque pour la Californie et ne revient jamais. J’y vois donc – peut-être à tort – un lien de cause à effet entre la fin de son service et son départ, bien qu’Etienne souhaite que son cadet le rejoigne depuis déjà le milieu des années 1860. Enfin, dernier point un peu mystérieux pour moi : le surnom de Joseph, Milaison. Pour le coup, mes recherches n’ont rien donné et je n’ai absolument aucune idée d’où ce surnom peut-il provenir et quel peut en être l’origine.
Voilà chers amis, et je devance votre prochaine réflexion : quel rapport avec la question de ton article ? J’y viens, doucement ! Tout ça pour dire donc, à l’image de mes recherches sur deux grands oncles partis en Californie dans la seconde moitié du XIXe siècle, qu’il peut exister en généalogie, des sortes d’obsessions, au sens positif du terme. Je veux dire par là qu’au gré de vos recherches, vous tomberez peut-être, sûrement même, sur un ou une ancêtre qui vous marquera et qui trouvera en vous une résonnance toute particulière. Pour Etienne, cela a commencé lorsque j’ai retrouvé ses lettres dans les archives familiales, envoyées depuis la Californie. Depuis, pas une semaine, ou presque, ne passe sans que j’effectue une recherche à son sujet. En cela, la généalogie peut et doit même virer à l’obsession. On y retourne ?
Heureux de retrouver Etienne et son frère Joseph, même s’ils ont eu un destin plutôt triste et payé cher leur choix de liberté. Heureux aussi de voir que tes recherches progressent bien, il est vrai que tu t’en donnes les moyens ! À quand le livre ?
J’espère terminer le premiet jet du livre d’ici la fin 2016 ! Donc, si tout va bien, courant 2017. Sachant qu’il s’agira d’une histoire romancée de la vie d’Etienne, basée bien entendu sur les faits !
Très heureux de retrouver la suite de ce western ! C’est super que tu aies pu retrouver d’autres éléments à propos de Joseph.
Hâte de lire ton bouquin, aussi !
D’ailleurs, à ce propos, j’envisage d’en écrire un aussi ^^ : soit sur mon AAGP Urbain, soit sur mon grand-oncle préféré, tonton Pierrot Molinier (voir mes billets de blog du Challenge AZ de 2015 sous le titre H comme Hors la loi).
Salut Juloz, oui je me rappelle de tes billets du Challenge 2015 : je ne peux que t’encourager, c’est génial de se lancer dans ce type d’aventure. Merci de ton commentaire.
Bon, j’ai l’impression qu’il va falloir avec Sylvie reconduire notre thème « littérature et généalogie », l’année prochaine !
Haha avec plaisir ce serait un honneur 🙂
Comme Raymond, très heureuse de les retrouver 🙂 Ton Challenge AZ 2015 m’avait vraiment beaucoup plu, et je suis très heureuse de découvrir la suite de tes recherches.
Merci beaucoup Pauline, tu avais été également un de mes Challenge coup de coeur l’année dernière.
T’aider fut un plaisir, cher collègue !
Et nous avons tous des obsessions généalogiques : j’en ai résolu une (qui concernait également la guerre de 1870) dans le cadre du DU, mais j’en ai encore deux autres que j’aimerais creuser dans les mois à venir, dont tu entendras sûrement parler « sooner or later » 😉
Salut Isabelle, content que tu sois tombé sur mon blog et sur mon billet ! Encore merci pour ton aide précieuse, d’une certaine manière tu fais partie de l’histoire de mes oncles désormais 😉
Hâte de découvrir ton « obsession » alors, surtout sur la guerre de 1870, période historique qui m’intéresse particulièrement…
Je comprends mieux ! Triste histoire, mais très bien racontée. Quant au silence dont tu parlais, je pense que c’est symptomatique de l’époque, tu ne crois pas ?
J’attends la suite avec impatience.
Oui et puis certainement que la mémoire familiale a oublié de le transmettre, la vie continuant son cours. Pour te dire, la toute première fois que j’ai questionné ma grand-tante, au sujet des oncles d’Amérique dont parlait mon grand-père, elle pensait même qu’ils avaient migré, comme beaucoup de Savoyards, en Amérique du Sud, donc en trois générations même pas, on voit comment l’histoire familiale peut sinon s’oublier au moins se déformer ! D’où l’intérêt de faire de la généalogie, et surtout d’où l’intérêt d’Internet et des nouvelles technologies !
C’est le probleme de la transmission orale, il y a une part de vérité et de déformation. Il faut démêler le grain de l’ivraie. Je suis impressionnée par ton travail. Bravo.
Merci beaucoup Florence 🙂
C’est interessant de voir comment vous imaginez vos deux oncles. Etienne, vous l’aimez et l’admirez beaucoup et vous avez une immense compassion pour lui alors que Joseph, vous nous le presentez comme l’enfant terrrible, bien qu’interessant, de la famille. Ah! Tout ce qu’on peut lire entre les lignes des documents que l’on decouvre! C’est bien triste tout de meme que tous les deux ont eu une fin si tragique. Avec ce que vous nous avez presente sur la psychogenealogie, je ferais tres attention si j’etais vous (pas de puits ou de trou dans votre jardin j’espere!). En fait je crois que vous etes deja tombe dans le trou: celui de la genealogie et je pense que vous n’avez aucune intention d’en sortir….. a part pour « a book tour » bientot j’espere. Annick H.
Bonjour Annick et merci pour votre commentaire. Non, je ne vois pas Joseph comme l’enfant terrible, pas du tout, c’est intéressant que vous ayez ce ressenti ! Je reconnais en revanche que j’ai une « relation » à Etienne plus intime qu’avec Joseph, que je perçois moins bien peut-être simplement parce que je n’ai aucune lettre de lui, donc pas de contact direct. En revanche, cela a changé mon image de lui d’apprendre qu’il avait été fait prisonnier en 1870-71 car j’imagine à quel point il a dû être marqué. Des fins tragiques et accidentelles qui alimentent vraiment un univers romanesque autour de leur histoire… J’espère aller en Californie un jour 🙂