L’arbre sans nom, vaste projet ! La quête des origines reste probablement le meilleur moyen de se découvrir soi… © G.C.

Voilà 5 ans, début mai 2016, je me lançais dans l’aventure de la généalogie professionnelle. Une aventure faite de hauts, de bas, de doutes, de certitudes, de remises en question et finalement de rencontres toutes plus enrichissantes les unes que les autres. Il y a 5 ans, je ne savais pas où aller me mener ce chemin, et c’est finalement ce chemin qui est venu à moi.

Lorsque j’ai lancé mon activité, ma préoccupation était moins de trouver les ancêtres des gens que de les aider à s’inscrire dans leur puzzle familial. Autrement dit, ce qui me tenait à cœur, au-delà du dossier de recherches que je remettais, c’était ce que la personne qui me l’avait commandée allait en faire. Je ne me suis jamais considéré comme un vendeur de service ou un marchand d’histoires. Pourtant, d’une certaine manière, j’ai pu jouer ce rôle parfois : je ne le regrette pas, évidemment, mais lorsque ce fut le cas, ce n’est clairement pas là que je me suis le plus épanoui.

Lorsque j’ai lancé mon activité, mon objectif était en fait de permettre aux gens qui me faisaient confiance de trouver du sens. Je l’ai souvent prêché, je l’ai souvent plaidé : le passé se conjugue au présent. En soi, constituer sa généalogie pour l’accrocher au mur, ce n’est pas forcément le plus exaltant. En revanche, faire résonner l’histoire de nos ancêtres avec la nôtre, établir des ponts, des passerelles, des connexions entre les générations passées, présentes et même futures : voilà ce qui a toujours été le moteur de ma pratique. Débusquer le sens, le mettre en lumière, et avancer.

C’est pour cela que, dès le lancement de mon activité, j’avais réfléchi à pratiquer, au moins en appui, l’analyse transgénérationnelle. Mais je me suis en réalité rendu compte que la psychogénéalogie n’est pas un outil qu’on sort du chapeau en mode : “tiens, et si on essayait ?” Je ne l’ai jamais considéré comme tel mais j’avais sous-estimé l’importance de l’expérience : à l’image des psychanalystes qui ont l’obligation de pratiquer une analyse avant de pouvoir exercer, je me suis attaché à être moi-même le cobaye de mon histoire familiale.

En 5 ans, j’ai donc accumulé du sens, de l’expérience, de l’expertise même, et j’ai construit une pratique que j’ai testée autour de moi. Vraiment à la manière de l’artisan qui façonne à partir de tel ou tel matériau. J’ai appris. J’ai énormément appris sur la généalogie, sur la psychologie, sur le rapport au monde, sur le rapport à la famille, et surtout sur moi. J’ai énormément appris car j’ai surtout énormément vécu… Et je crois qu’on a tendance à trop souvent l’oublier, en tout cas à trop souvent le négliger : vivre est la meilleure des formations et la meilleure des expériences.

C’est avec une certaine bienveillance que je repense à la naïveté de certains de mes projets que j’avais alors en tête il y a cinq ans. Ils n’étaient tout simplement pas mûrs. Aujourd’hui, ils le sont assurément. C’est pourquoi je reste évidemment généalogiste professionnel, mais clairement engagé sur la voie de l’analyse transgénérationnelle.

L’analyse transgénérationnelle…

Études des dates, approche numérologique, analyse des prénoms, des noms, et des lignées, identification des blocages, résolution de conflits transgénérationnels, interprétation des rêves… : oui, mon travail change sur la forme, mais sur le fond, en vérité, pas tellement. Je reste convaincu que la généalogie est une clef de voûte essentielle dans la résolution de nos névroses, de nos problématiques de vie et qu’on sous-estime toujours trop le poids du passé. Alors j’ai réfléchi au poids des étiquettes : que suis-je finalement ? Un généalogiste professionnel ? Un coach de vie ? Un psychogénéalogiste ? Un auteur ? Un rêveur ? Je crois que la réponse est inscrite depuis bientôt 31 ans en moi : je suis Guillaume Chaix et j’ai juste envie de contribuer, à ma modeste échelle, à rendre quelques chemins plus éclairés, plus faciles à pratiquer, plus beaux aussi. Plus qu’une envie, c’est un honneur de penser que je puisse y parvenir.

Vous l’aurez compris, c’est une vision humaine, presque une philosophie de vie que je loue et que je chéris. La généalogie n’est selon moi pas une fin, mais bien cette petite (ou grande) porte d’entrée de l’être que je vous invite à franchir avec plaisir, détermination et surtout une bonne dose de courage. Je l’écrivais il y a 5 ans, je réitère aujourd’hui avec plus de conviction encore : partir à la rencontre de ses ancêtres, c’est d’abord et surtout partir à la rencontre de soi-même… Exactement à l’image des premiers mots de la citation de Claude Lévi-Strauss, qui orne l’entrée de mon site :


Chercher ses racines, c’est au fond se chercher soi-même : qui suis-je ? Quels sont les ancêtres qui m’ont fait tel que je suis ?

Claude Lévi-Strauss

Et si cette porte ne vous tente pas, je vous souhaite de découvrir et d’ouvrir toutes celles qui vous mèneront également sur votre chemin intérieur !
Et pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus et qui seraient même intéressés par mon travail : n’hésitez pas à m’envoyer un message sur mes réseaux sociaux ou via le formulaire de contact ou directement à : lgda@outlook.fr.

Désolé d’avoir été long : en cinq ans, j’ai moins publié sur mon blog, donc je me rattrape à la moindre occasion !

#RDVAncestral n°18 – Monsieur X

Vue générale de Saint-Sorlin-d’Arves, au début du XXe siècle. Coll. familiale Chaix. Tous droits réservés

Je me suis toujours demandé combien de points lumineux pouvaient scintiller dans le ciel une fois le soleil passé derrière les montagnes. Est-ce moi qui contemple cette vaste immensité ou l’inverse ? Un jour, mon père m’a dit que les étoiles traversent les âges et que celles qui brillent aujourd’hui, brillaient déjà au temps de nos lointains ancêtres. Ce qui veut dire que cette casserole, mon aïeul le plus reculé s’amusait peut-être à la suivre déjà du doigt, seul, allongé dans les champs, comme c’est le cas pour moi en plein cœur de l’été.

C’est drôle car ces étoiles me font justement penser à celles et ceux qui sont passés avant moi. Discrètes veilleuses de nuit, toujours prêtes à se laisser observer même pour les gens qui n’y comprennent pas grand-chose, comme moi. Elles orientent, elles guident, elles rassurent parfois, elles éclairent. Comme pour les étoiles, je ne sais pas grand-chose de mes ancêtres mais je les connais. En mon for intérieur, je sais qu’ils rayonnent. Un jour peut-être, un lointain descendant se demandera qui j’étais, moi, le père inconnu de celle qu’on a appelé Marie-Françoise. Dans notre petit village, tout se sait mais les secrets sont bien gardés. Parole d’homme. Suis-je homme de bien ? Qui pour me juger ? Là, une étoile filante !

Je suis l’inconnu d’une opération mathématique pourtant bien résolue. Un bâillement sans retenue, un sourire, puis un bref assoupissement. Une soirée intemporelle, que je souhaite à tous de vivre au moins une fois.

La vie n’a pas besoin d’identité, ces étoiles ont-elles un nom ? On les nomme mais personne ne sait vraiment qui ils sont. Il en sera de même pour moi. Peut-être me croisera-t-on ici ou là dans tel pan de l’histoire familiale mais je ne serai jamais percé à jour. J’aime cette idée-là, finalement. Et puis identifier un homme ne signifie pas pour autant le connaître. Je suis né dans un XIXe siècle en pleine mutation ; l’industrialisation commence à gagner toute la vallée de la Maurienne. Le monde change. Les gens aussi. Aussi bien d’où je regarde les étoiles, à Saint-Sorlin-d’Arves, que partout ailleurs.

J’ai aimé Clémentine, le temps d’un instant, le temps de cette étreinte. Qui a déterminé la descendance qui réfléchira peut-être à moi dans les prochaines décennies, dans les prochains siècles. Je l’ai aimé au point d’accepter sa proposition de lui donner un enfant. Comme un service rendu. Un drôle de service : la vie.

Un silence rompu par des éclats de rire venant de tel chalet d’alpage. Ah, les veillées restent une véritable institution dans nos montagnes. Nos belles montagnes qui subliment le ciel que je contemple chaque soir comme si c’était la première fois. Marie-Françoise, un indice de mon identité se trouve peut-être dans le prénom de ma chère petite qui grandira sans savoir qui je suis. Les François sont des « hommes libres », eh bien, que ceux qui le voient puissent en attester (1).

Je m’appelle X et aujourd’hui, 13 septembre 1898, j’ai rendez-vous avec le ciel.

***

14 septembre 2018, sous un magnifique ciel étoilé. – Je dois rédiger mon 18e #RDVAncestral pour demain et ne sais toujours pas quel ancêtre rencontrer. Et si je cherchais du côté de mon SOSA n°18 : X. Comment imaginer une rencontre avec X ? Un bâillement sans retenue, un sourire, puis un bref assoupissement. Un coup d’œil vers le ciel. Tiens, je me suis toujours demandé combien de points lumineux pouvaient scintiller dans le ciel une fois le soleil passé derrière les montagnes… Là, une étoile filante !

L’arbre qui cache la forêt.

 

Notes

(1) Selon la mémoire familiale, celui qui aurait mis enceinte mon arrière arrière-grand-mère ne serait autre que… son beau-frère, François Marie Balmain, mari de sa soeur. Il est évidemment difficile de savoir exactement ce qu’il s’est passé. On a toujours dit que mon aïeule, Clémentine, “réclamait” une descendance afin que le patrimoine familial ne change pas de famille (et de nom), ses deux frères, Étienne et Joseph étant partis en Amérique. Légende ou réalité… Bien malin celui qui pourra percer le mystère.

Suite des épisodes 6, 7 et 8

Lettre du 26 juillet 1869 (2)

Mon bien cher père frere et sœurs
Com vous vous trouvez
in quiet [inquiets] de ma sante je me dispose en ce
moment à vous ecrire pour ce la [cela] je me porte
assais [assez] bien pour le moment et comme toujour
si ce n’est ma jambe à varice qui ait [est] pour
le moment comme depui 1866 au 15 aout
elle ait [est] mentenent jambe avarié
mes [mais] à force de remede different je
crois avoir trouve le bon je fait fondre
de la resine de la sire [cire] jaune et de luillie [l’huile]
d’olive le tout fondu ensemble je cole cela
sur du papiez et je laplique sur la playe
Je le renouvelle toutes [papier tâché] heurs
cela me fait pa mal souffrir et chaque
foi que je renouvelle le pancement en en-
-levent le cataplasme la mede cine [médecine] en-
traine avec elle les rasine [racines] du mal
cela fait des corde comme du fromage
dans une soupe c’est [ces] rasine commence
par ce de couvrir [se découvrir] par un petit poin noir
ce poin noir c’est un sang ca lue brule [comprendre coagulé ?]

Lettre du 26 juillet 1869 (2)

qui pique comme des eguilies [aiguilles] ce la [cela] c’est par santaine [centaines]
jes paire [j’espère] dapraix [d’après] ce que je vois que dan un ans
au plus je serais entierement gueri si je netait
pas obligie [obligé] de travaillier je crois bien qu’en
3 ou 4 mois je serais entierement geri [guéri] mes comme
il faut que je travallie [travaille] journellement cela
hirite [irrite] le mal et en flame la jambe [;] le
travail que je fay [fais] mintenent est trop dur
pour ma jambe mes dans 6 mois disi [d’ici] jaurais
à peux praix [près] tout fait ce que je dois faire
dans c’est [ces] travaux la le travail que je ferais
apraix [après] ne me fatiguera pas du tout je men vais
vous donner du nouveaux j’ai fait comme mon
frere jai quite [quitté] le regimen de mineur pour
rantrer dan celui des cochons   cet a dire
ne voyant rien de bien sur pour la mine en ce
moment j’ai pris un angagement [engagement] de 3 ans et demi
pour faire le fentes dune propriété en piere
et en planche mon patron fournit toutes
les provition [provisions] quil faut pour un an il seme
cet autonne et fournit tout le gren [grain] quil faut
jeus-qua [jusqu’à] lannée 1870 en autonne dela pour les
frais des 2 autres anne [années] je me nouri ames fraix [à mes frais]

Lettre du 26 juillet 1869 (3)

et je rentre dans la moitiez des fraix qu’il faut
pour semmet [semer] et pour les en tretenir [,] la proprie
été [propriété] ait de 1500 maitres de long sur 600 de large
le tout n’est pa labourable mes il y en at toujours
au moin 100 cartelée mesure de che [chez] nous
Il met 150 cochons il y at 40 trui pour faire des
petits dans livert [l’hiver] ils sont a lerbe et on leurs donne
une poignie tous les jours pour les attirer a la mes[on]
en autonne au temp que lon laboure il y at les
glans et allers depui la fin mai ou le 15 juin
que la recolte ait mure on les met de dans la
propriete la [,] ceux qui sont graux [gros] sengraise
et les autres grandixe [grandissent] pour lannee dapraix
je pence que nous en orron [aurons] suffisament pen
dant les deux premiere année il ny aurat que
la derniaire année que nous seron aubliger da
-ller lou et [louer] une autre propriete auquel lon donne
50 sous par cochons il me ferat les avance de la somme
en argen jeus-qu’a ce que lon en vande [vende] allors
passe lannée prochaine en autonne ce quil avait
pour moin [moi] il le retien a la vante [vente] des cochons
Le tempe coulée [temps écoulé] il reprand cest [ses] 150 quil
met a la meme grauceurs [grosseur] en viron que lors

Lettre du 26 juillet 1869 (4)

quil les at fourni et nous partageons en suite
le nombre ogmente [augmente] cet a dire [y, barré] cest ce que lon
dit des cochons a moitiez mes [mais] il y at bien de
differante convantion a celle-ci quoique à
moitiez mes parmi toutes celle que jai rencontre
jai trouve celle-ci la plus favorable pour moin [moi]
mentenent voila mon temps fixé pour mon
retour au pay or du nouvaux [sur les, barré] en malheur
tout ait perisable puis-que nous même nous ne
somme point exantié [examptés] pourrait survenir une
mortalite seur [sur] les animaux aussi aller il
faudrait vouloir ce que dieu veut puis-que
nous ne pouvons aller contre    pour quant
a ce que vous m’offre [m’offrez] pour vendre pour me repatri [rapatrier]
pour cela ne jen veux pas en corre je suis
venu pour gagnier de largien [l’argent] et non pas
pour en depanser   pour quant a ce que vous
me ditte que [y, barré] vous m’avez conserve [conservé] la meme
a moitiez que vous avez pour les autres puis
que vous me le ditte je vous crois et coryez [croyez] que
de mon cote vous nette point ou ble [oublié] non plus
car mentenent [maintenant] plus que jamais vous m’aitte [êtes] toujour
present a mes yeux et meme traix souvent dans

Pas de fin

Lettre du 26 juillet 1869 (marge)

Mon adraisse [adresse] pour moi comme pour mon cousin ait toujour la même je sui qu’a 1
mille [mile] dou jetais jeus-qu’au 18 mai 1869 et un mille ou jetai du temps que vincent
était isi [ici] new years diggines dans le au [haut] // Ce jour d’hui le 26 juliet [juillet] 1869.

De cette lettre, plusieurs remarques. D’abord, Étienne donne des nouvelles de sa jambe, qu’il évoquait déjà en 1866. Les mots qu’il emploie sont pour le moins étonnants : à chaque renouvellement de pansement, « cela fait des cordes comme du fromage dans une soupe ». Le sens de la formule vous dites ? Ensuite, il indique avoir quitté le régiment des mineurs pour celui des cochons. Un clin d’oeil ironique à l’engagement militaire à venir de son frère ? En tout cas, on note qu’en 1869, Étienne parle de “temps fixé” pour son retour au pays. Plus encore, il décline une proposition apparemment faite par son père qui pourrait l’aider à payer son retour. “Je suis venu pour gagner de l’argent et non pas pour en dépenser”.

Enfin, Étienne indique que son adresse, de même que celle de son cousin – certainement Jacques Balmain – est toujours identique. Il précise qu’il n’habite qu’à un mile d’où il habitait « du temps que Vincent [Chaix] » était là-bas, précision qui permet d’affirmer qu’Étienne, depuis 1860 n’a pas tellement été mobile géographiquement parlant, si ce n’est l’épisode de San Francisco vu précédemment. Toutefois, impossible de le trouver lors du recensement fédéral des Etats-Unis de 1870. Était-il absent au moment où le recensement s’est effectué ? Difficile de le savoir. Même remarque pour Jacques, que je n’ai pisté nulle part. Par ailleurs, vous aurez remarqué que la lettre se coupe brusquement et pour cause, il en manque une partie. Ne me demandez où elle est passée, je n’en sais rien (lire ci-dessous).

10

On touche là à la fin de cette étude.

Étienne rédige sa dernière lettre en mai 1871, laquelle nous offre un témoignage extraordinaire sur comment il a vécu, à des milliers de kilomètres, la guerre de 1870 et aussi la Commune de Paris en 1871, sentiments sans doute exacerbés par le fait que Jacques Joseph prenne part à ce conflit. Pour rappel, la IIIe République en France est proclamée en septembre 1870.

Dernière lettre reçue d’Étienne, dans laquelle il annonce son intention de ne jamais revenir au pays, après avoir fustigé la situation de la France en 1871. Archives familiales, tous droits réservés.

Mon bien cher père frere et cœurs [soeurs]

Je me dis pause [dispose] à vous ecrire la presente
vu que je ne recois pas de nouvelle de la lettre que
je vous ai ecrit en mars soit au commancement
mars 1871 lors-que j’avais vu [qu’une, barré] que les lettres
pouviont [pouvaient] vous parvenir [;] plus une quinsaine de jours
apraix [après] jais ecrit ausi a Vencent [Vincent] et lui avais de-
-mande une prompte reponse seur [sur] tout   si au cas vous
ne m’eusiez [eussiez] pas fait reponse vous-même cela
pour vous donner de mes nouvelle et pour en appran-
-dre des vautres [vôtres] soit de tous père frere cœurs[soeurs] et beaufrere
tante oncles et en fin de tous les parents et des amis
rien de plus desolan pour moin [moi] que
de voir la situation affreuse auquel se trouve la
France en ce fatal moment [;] non contant de verser
le sanc [sang] [de la f, barré] des enfants de la France contre l’etrange[r]
il faut en corre qu’ils segorgient [s’égorgent] eux entre eux
que cette fatalle ville de paris soit peurgie [purgée] une
foi pour toutes de s’on orguel [orgueil] et de tout c’est vice [ces vices]
qui non seul-ment ont fait les malheurs de tout
habitant qui l’ont habitée et de ceux qui labite
insi [ainsi] quelle ferat encorre le malheur de ceux qui
l’abiteront à lavenir peutaitre ; je dis isi [plus au, barré] tous
je dis trop mes tout au moin du plus-grand nombre
seur [sur] plusieurs raports mai seurtout [surtout] celui qui ne fait
et n’arrive qu’a degenerer l’umanite car bien tôt il[s] tillerons [tireront] les raports

Lettre du 29 mai 1871 (2)

Voui paris non seul-men en ce moment ce ruine pour long-temps
mes [mais] il entraine avec lui bon nombre d’autre villes et de toutes les
conpagnie [campagnes] de la France entiaire il de-truit [détruit] leurs chans [champs] leurs chau-
miaires [chaumières] e[t] epuise le sanc le plus pur et le plus vigoureux de la
patrie ; au fatal paris soit tout au moin une foi pour tout
de-trui à jamai et le reste de la France respirrerat un er [air] plu pur
et ce reprimieras peutaitre de tout j’anre [genre] de vice de generateur [dégénérateur]
voui cher parant père frere cœurs et en
fin à tous les parents et les amis la France ne peut rester longtemp dan
une parfaitte tranquillite la France ne sait ni pardonner à son monarque
ni aubehir [obéir] à la republique, pour moin [moi] la republique en France
ait [est] une veuve auquel ces enfants chacun d’antre eux veut aitre [être]
non seul-ment son mettre [maitre] mes raignier [règner] en metre seur [sur] tous freres et
cœurs [soeurs] même raignier [règner] en mettre [maître] et se lever bien plus aux [haut] qu’au desu
de sa mère mai jeus-qu’au [jusqu’au] desu de l’eternel [.] voila l’esprit
des enfants de la France de tout temps et parait pire en ce
moment              pour moin [moi] j’abandonne le projet d’y
re habiter car pas une heure de ce qu’il me reste à vivre ne me serait
agréable je desirerais revoir sandoute ce bersaux [berceau] de m’on enfance
avec un bien grand plaisir mes [mais] pour l’abiter je n’en ais pas lembition [l’ambition]
dance [dans ce] moment et je croi-que jamais cette embition ne me reprenderat
la plus grande de mes embition ne peut m’arriver
san que cette idée ne vous vienne à comprandre que notre tranquilite
pour nous qui somme indigiant [indigents] ne se peut trouver en Europe et pour-que
le but de ma plugrande embition soit acomplie il ne faut pas
que cette crente [crainte] de quitter le cloche [clocher] vous tienne des-ormée [désormais] mes que
cette pansée vous vienne de vous-même et de comprandre que je
ne peux ni vous assurer que nous ferons une grande ou petite fortune

Lettre du 29 mai 1871 (3)

prompte ou avec une longe [un long] espasse [espace] de temps pour moin [moi] mes resolution
s’ont [sont] prise je desire revoir le pays natal mais non l’abiter ; ce sont
mes oppinions je tien a le revoir non pas pour le pays mes pour les
habitant suije peutaitre sandoute condannée [condamné] a rester pauvre toute
ma vie cela cepeut mes jaime mieux laitre [l’être] dans cest pays que che [chez] nous
car le droix [droit] que je peux avoir quant je veux en amerique je ne le trouverais
jamais dan notre pays  nous ne demandions rien de plus que davoir
du terren [terrain] acultiver pour notre necesaire de chaque jour ici on peut
en avoir plus-que lon peut en cultiver il n’en faut rien de plus tout
ce qui m’en-nuit [m’ennuie] dans c’est contre [contrées] c’est le terren trop secque [sec] dont on
peux crendre [craindre] et bien la Californie ne sont les amerique il y at
l’auregon [Oregon] le fraise-riviere [Frazer River] dont je connais climats qui ait traix bon
c’est lendroit qui me conviendrait le mieux le payssage y ait magnifique
bois pierre au [eau] et en fin tout y ait convenable pour les j’anses [gens] de nos
montagnie [montagnes] le climat y ait depui la temperature de Chamberi [Chambéry]
jeus-qu’à celle de nos montagnie [montagnes] les plu elevee [élevées] de la savoie
je desirerais savoir ce que vous ditte chacun de vous de ce que je vous
ay marque [marqué] seur [sur] la lettre ecrite en mars dont je panse que vous l’aure[z]
resue [reçu] pour savoir l’aupinion [opinion] de chacun d’antre vous tous et de tout
ce que je vous ais parle soyez sensaire [sincères] et faitte moin [moi] reponse auplutôt
ce qui me torture rudement c’est de ne pouvoir recevoir
aucune nouvelle de la famillie [famille] cela memet dans lidée que quelcun [quelqu’un]
dentre vous sont mort et seurtout que jai [rature] vu seur [sur] une laittre [lettre] que
les freres Arnaud ont recu de Vencent dont il m’en ont fait la
coppie que chacun deux de ceux qui etions [étiez] sous les armes aviont [avaient] ecrit
sauf 3 dont mon frere en aitait [était] un plus il m’ont fait en corre le
relevée dune lettre que leurs at ecrit leurs cœurs que tout [tous] avions [avaient] ecrit
sof le fils de Romen [Romain] Didier mes [mais] vu ce brigandage quil y at mentenent

Lettre du 29 mai 1871 (4)

il ne me reste que bien peux des poir [espoir] pour lui et pour ce perre à qui
les reverts de la vie afflige [ci cru… raturé] si cruellement en voyant ses enfants
insi [ainsi] dispersée cela ne serait-t-il pas parfoi un sujet de tristaisse [tristesse]
pour vous bien cher père non re consolevous [re-consolez-vous] et reconsollon nous tous
et voulon ce que dieu veut il saurat nous eparnier [épargner] sil le veut et il
saura nous fraper sil lexige que nous le soyons helas consolon nous
puis-que cete vie n’est qu’un passage mes esperon le bonheur
en loutre [en outre] si nous savon le meriter
Je vien de voir seur [sur] un journal que le prix du passage de 2000
emigran europen [Européens] ait souscrit si vous voulliez venir je panse que
vous pourriez avoir votre passage gratuit je vais peutaitre menin-
former [m’en informer] avanque de mettre la presente a la poste
Jemen vais finir en vous soitan [souhaitant] atous une sante parfaite
père frere cœurs et beaufrere tante oncles cousens et cousines
amis et amies et pricipalement [principalement] si jetai l’aime [aimé] et le bien aime
d’une jean serais hereux et si au cas que que-que une me garde leurs
amitiez je pourrais lui garder les mienes et je fini en vous embrasent [embrassant]
tous du plu prond [profond] de mon cœur en attandant de pouvoir le faire
en reallite Je sui pour la vie votre tout devoue fils frere Brunet Etienne
Ce 26 mai 1871 New years diggines
—-

Si par foi que vous nusiez [n’eussiez] pas resue
la lettre que je vous avais ecrite vous voudrez bien me le marquer au plus
vite car il yen avait de dan une pour remettre ausitôt que vous laurez
resue et si lon vous at donne une reponce et vouvoudriez bien me marquer
tout ce quil y at de nouveaux dans le pays          mai seurtout [surtout] je desire
bien mieux votre presance en corre que la reponce plus je ne sais
comment quelcun m’at di avoir vu mon cousin jaque a un endroit
que lon appelle seneline [?] il ma même été dit quil aurait voulu me

Lettre du 29 mai 1871 (retour à 1, marge)

me parler je ne sais sil ait parti pour le pays ou sil at etée a St Francisco pour
envoyer de l’argian [argent] pour payer les Didier secretaire cest tout ce que je sais depui
la noel auquel nous avon passe ensemble il m’avait dit qu’il san allait au printan
que son temps serait fini le 7 mai 1871 il verrait comment hiriont [iraient] les affaires
du pays consernant la guerre je le croix parti car il serait venu me voir
depui 9 jour que son temps ait fini

[Marge au-dessus]

vous voudrez bien me dire si vous
avez re cette letre ecrite en mars
elle ne partira peutaitre
pas avan le 3 ou le 4
juin, le 29 mai [y barré]
1871

Je suis toujours relativement bouleversé à la lecture de cette lettre tant elle est un témoignage précieux sur une époque historique que j’apprécie particulièrement en plus. En déplorant la Commune de Paris (il mentionne également celles des campagnes, donc peut-être a-t-il vent de celles de Lyon ou Marseille ou fait-il seulement référence à la guerre de 70?), il s’inquiète surtout pour son frère cadet, Joseph, engagé alors dans les 11e Dragons et qui se trouve, à ce moment,  à Thionville, en Moselle, assiégée par l’armée prussienne. « Ce qui me torture le rudement c’est de ne pouvoir recevoir aucune nouvelle de la famille, cela me met dans l’idée que quelqu’un d’entre vous sont [est] mort et surtout que j’ai vu sur une lettre que les frères Arnaud ont reçu de Vincent dont ils m’ont [a] fait la copie que chacun d’eux, de ceux qui étions [étaient] sous les armes avions [avaient] écrit sauf 3 dont mon frère en était un », conclut-il en fin de lettre. Je n’inclus pas ici le destin de Joseph, alors que j’ai à ma disposition de nombreuses informations (registre matricule conservé à Vincennes, et un dossier de succession après sa mort, en 1891. Tout son parcours militaire est retranscrit dans mon livre).

Par ailleurs, la construction de la lettre est très intéressante en ce sens que le conflit de 1870 amène Étienne à évoquer son hypothétique retour en Maurienne : les choses sont désormais claires, il ne reviendra pas. Difficile de ne pas imaginer ce qui lui a fallu comme courage pour enfin fixer les choses. Laissant la porte ouverte à une visite de courtoisie qu’il désire plus que tout – revoir sa famille revient dans chacune de ses lettres, naturellement – il essaye une dernière fois de convaincre les siens de le rejoindre.

« La plus grande de mes ambitions ne peut m’arriver sans que cette idée ne vous vienne à comprendre que notre tranquillité pour nous qui sommes indigents ne se peut trouver [ne peut se trouver] en Europe et pour que le but de ma plus grande ambition soit accompli, il ne faut pas que cette crainte de quitter le cloche [clocher] vous tienne désarmés mais que cette pensée vous vienne de vous-même et de comprendre que je ne peux ni vous assurer que nous ferons une grande ou petite fortune prompte ou avec un long espace de temps. »

Plus de promesses, mais la crainte de quitter le clocher fait sans doute référence au fait que pendant des siècles, quitter sa paroisse était très mal vu et synonyme de péché même par l’Église et le curé qui ne voulait pas voir sa paroisse vidée de ses ouailles.

Alors que, de nouveau, est faite mention d’une lettre absente du corpus retrouvé, datée apparemment de mars, Étienne s’adresse aussi à son père : voir ses enfants dispersés, en parlant d’un autre père de Saint-Sorlin, “n’est-ce pas pour vous un sujet de tristesse, pour vous bien cher père ?” Immédiatement, on s’en remet à Dieu.

Et puis, en fin de lettre et de manière furtive, Étienne évoque pour la première fois d’éventuels sentiments amoureux, en toute pudeur : « […] principalement si j’étais l’aimé et le bien aimé d’une, j’en serais heureux et si, au cas que quelqu’une me garde leur [son] amitié, je pourrais lui garder la mienne », comme une manière d’indiquer aux siens qu’il ne fonderait un foyer qu’avec quelqu’un du pays. N’est-ce pas à ce moment qu’Étienne joint son portrait à sa lettre ?

« […] Avant l’envoi cependant, si l’épargne du jeune homme est riche, il voudra y joindre son portrait. Ce n’est pas à coup sûr pour s’admirer sottement dans son image que le montagnard pose et se fait peindre : mais qui sait ? Le portrait peut servir à le marier. Il sera remarqué des jeunes filles du canton et lui vaudra quelque grasse dot. […] »[1]

Sans doute faut-il préciser que le passage qui vient d’être évoqué concerne l’émigration des Savoyards à Paris notamment, au XIXe siècle. Pour autant, il est permis de penser qu’Étienne est susceptible d’adopter la même pratique. Preuve en est, sur la pratique du mariage, le fait que Jean François Arnaud revienne à Saint-Sorlin se marier avant de repartir. Je pense profondément qu’il était hors de question, inimaginable pour Étienne, de se marier avec une étrangère. N’en déplaise au généalogiste que je suis !

En conclusion, Étienne nous apprend que son cousin Jacques a dû quitter définitivement le continent américain depuis quelques jours, alors que tous deux ont passé le Noël 1870 ensemble. Cette lettre est la dernière que la famille d’Etienne reçoit. Se peut-il que d’autres aient été perdues ou détruites (la maison familiale à Saint-Sorlin a connu de nombreux incendies dans la seconde moitié du XIXe) ? Je le pense de plus en plus. Étienne apprend-il le décès de son père François le 9 mars 1878 ?

CHAPITRE IV – DÉNOUEMENT

11

Alors comment connaître la suite des événements pour Étienne ? Grâce à Internet et un formidable travail de numérisation, il nous est possible de consulter une partie de la presse californienne de 1846 à aujourd’hui. Malheureusement, le comté de Stanislaus n’est pas représenté. Néanmoins, comme il habite à la frontière avec d’autres comtés, notamment celui de Mariposa, les chances de trouver une trace de lui sont un peu plus grandes quoique très limitées.

Le 20 février 1875 pourtant, paraît dans le Mariposa Gazette[2], une Delinquent Tax List qui vise à recenser les individus n’ayant toujours pas payé l’impôt. Parmi eux, figure un Stephen Brunett qui, au vu des détails qui suivent, ressemble fortement à mon Étienne. Grâce à cette mention, nous apprenons qu’il possède 40 acres de terres, 1 acre représentant environ 0,405 hectare, cela revient à dire qu’il possède un peu plus de 16 hectares. Étienne ne dit-il pas dans sa dernière lettre : « Nous ne demandions rien de plus que d’avoir du terrain à cultiver pour notre nécessaire de chaque jour. Ici on peut en avoir plus que l’on peut en cultiver, il n’en faut rien de plus […] » ? Les terres d’Etienne se localisent à New Years Diggings, à un mile au sud-est de l’old French Store, ancien nom de La Grange et sont évaluées à 50 dollars, plus 50 dollars d’améliorations (cf installations évoquées dans sa lettre de 1866 ?). La mention précise également qu’une exploitation minière se situe sur le terrain, évaluée à 25 dollars, plus, pour finir, 5 dollars d’effets personnels. La valeur totale de ce que possède Étienne est évaluée donc à 130 dollars, pour une taxe, elle, évaluée à 3,88 dollars, plus 1,50 dollars de coût de collecte. Toujours d’après l’outil de calcul basé sur l’inflation et sur lequel nous nous sommes appuyés pour évaluer la richesse d’Étienne lors du recensement de 1860, 130 dollars en 1875 représente environ 2800 dollars actuels.[3]

Cette mention chanceuse d’Étienne dans la presse locale permet de noter qu’entre 1860 et 1875, Etienne s’est enrichi. Si nous trouvons une trace de lui quatre ans après l’envoi de sa dernière lettre – en tout cas connue de nous, la prochaine trace découverte se situe quatre ans après 1875, soit en 1879.

Et il s’agit de la dernière, puisque cette trace indique la mort tragique d’Étienne.

Il a fallu des heures incalculables de recherches sur le site de la California Digital Newspaper Collection pour tomber sur ceci :

« Killed by a cave. Last Thursday Etiene Brunet, a Frenchman, who owns a mining claim on the dividing line of Mariposa and Stanislaus counties was accidentally killed while working his claim. It appears the unfortunate man was running a drift, and the supposition is that he neglected to timber sufficiently to support the heavy weight of the ground. Many similar accidents happen in mining through neglect or a lack of knowledge in this respect. An inquest was held by the Coroner of Stanislaus county and the jury returned a verdict in accordance with the above. »

Mariposa Gazette, 12 juillet 1879[4].

« Tué dans un éboulement. Jeudi dernier, Etienne Brunet, un Français, qui possède une exploitation minière à la frontière des comtés de Mariposa et Stanislaus a été accidentellement tué alors qu’il travaillait dans sa propriété. Il apparaît que le malheureux a dérivé et qu’il a négligé d’étayer suffisamment pour supporter le poids lourd de la terre. Beaucoup d’accidents similaires arrivent dans l’activité minière soit par négligence soit par manque de connaissance. Une enquête a été diligentée par le Coroner du comté de Stanislaus et le jury a rendu un verdict conforme à ce qui vient d’être énoncé. »

Voici donc comment décède Étienne, le jeudi 10 juillet 1879 à New Years Diggings, dans sa mine, écrasé par le poids de la terre, étouffé par le manque d’air oppressant et fatal, tragiquement rattrapé par sa soif de vivre, lui qui prônait sans cesse qu’il était pour la vie. Lui qui a rêvé toujours plus haut d’une vie meilleure, lui qui souhaitait par-dessus tout que sa famille le rejoigne définitivement, lui qui songeait sûrement à en fonder une, mais qui est resté seul, sans descendance, comme résigné de n’avoir ni pu ni su convaincre sa famille de s’installer là-bas.

L’avenir de Jacques Balmain depuis 1871 et son éventuel retour au pays est inconnu. Mais en 1876, Un Balmain P. apparaît sur la liste de ceux qui n’ont pas payé l’impôt, juste avant un Brown Joseph. Sachant que le premier prénom de Jacques était Pierre… J’imagine qu’il s’agit bien du cousin Balmain.

Aucune tombe au nom d’Étienne n’a été retrouvée, pas plus qu’une au nom de Joseph. Ils devaient rejoindre ces millions d’anonymes invisibles croupis dans l’oubli, faute de n’avoir laissé aucune trace de leurs passages et ne seraient même restés qu’une légende familiale si je n’avais pas retrouvé les lettres d’Étienne.

Ses rêves, son incroyable détermination, son extraordinaire histoire ont finalement parcouru quatre générations pour qu’enfin soit restituée sa mémoire. Il s’appelait Etienne Brunet, il est mort à 45 ans et c’était mon grand oncle.

Ferrotype d’Étienne Brunet, seul portrait conservé de lui dans les archives familiales. Ca 1870. Tous droits réservés.

Notes

[1] GUICHONNET, Paul, L’émigration des Savoyards aux XIXe et XXe siècles, Chambéry, Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, Histoire en Savoie n°29, 2015, p.15. Paul Guichonnet cite ici J.-F. Destigny.

[2] California Digital Newspaper Collection, Center for Bibliographic Studies and Research, University of California, Riverside, http://cdnc.ucr.edu. Le titre évoqué ici est donc disponible en ligne sur : http://cdnc.ucr.edu/cgi-bin/cdnc?a=d&d=MG18750220&e=——-en–20–1–txt-txIN——–1.

[3] Source : http://www.in2013dollars.com/1875-dollars-in-2016?amount=130.

[4] Source : http://cdnc.ucr.edu/cgi-bin/cdnc?a=d&d=MG18790712&e=——-en–20–1–txt-txIN——–1

Précedemment, dans l’épisode 6 et l’épisode 7

Pour commander mon roman sur la vie d’Étienne, merci de prendre contact avec moi.

8

Dans les lettres retrouvées, figure un petit billet malheureusement non daté. Quelques indices permettent en outre de déduire qu’il a été rédigé aux alentours de la lettre de 1864 :

mes chers parents je vou dirais que nous
ne somme pas trais bien avec Jean François
Arnaud vous leur direz seulment se quil y at
pour lui seur [sur] la lettre sans leurs fere mention
de rien dutout et sil veulle y mettre [rature] un billiet
il ne faut pa leurs refuser san en fere cas de
rien et pour vous autre vous ny mette seulment

Petit billet [verso]
seur [sur] leurs lettre comment vous vous porte et si
vous avez quel autre chause a mettre ecrive moi
et sil cela ne vous ferait rien fette moi au moi[n]
reponse a toutes les lettre que jean vois et si quelque
chose que vous desireriez savoir plus a fon fette en
une autre plus tard car cest mon seul plaisir
que jai isi et vous men prive ne men prive pa
je vous en prie                 Je vous recommende
de vouloir bien fere dire deux messes a la cha
pelles des preplan celon mes intantion

Le ton employé par Étienne est empreint d’inquiétude. Le fait qu’il cite n’être qu’avec Jean François Arnaud indique peut-être que Vincent est déjà parti, donc le billet aurait été rédigé après 1860 ; le fait enfin qu’il s’adresse à ses parents nous informe sur le fait qu’il écrit ce billet avant 1865, année de décès de sa mère Catherine Milliex[1].

Étienne semble évoquer les parents de Jean François : ce dernier est-il malade ? « Sans leur faire mention de rien du tout », mon grand oncle donne l’impression de vouloir presque « protéger » Jean François ; dans la deuxième partie du billet, il implore quasiment ses parents de bien lui faire réponse à ses lettres : l’inquiétude semble être à son paroxysme. Mais la dernière phrase d’Étienne nous révèle peut-être le fin mot de l’histoire : la chapelle Notre-Dame-de-la-Vie, située en marge du village, au hameau des Prés-Plans, est réputée, aujourd’hui encore[2], guérir et faire des miracles. Bâtie au XVIIe siècle, restaurée en 1855, dans le temps, ce sont les enfants morts nés que les familles s’empressent de ramener : la légende dit que l’enfant en question ressuscite le temps de son baptême. Ainsi, les « deux messes » demandées concernent-elles Jean François et Étienne ?

La chapelle des Pré-Plans, au début des années 1930 avec mon arrière-grand-père Charles Chaix notamment. Coll. familiale, tous droits réservés.

La chapelle aujourd’hui (photo prise en 2014). Coll. G.Chaix, tous droits réservés.

À ce stade, nous sommes contraints d’accepter la frustration de ne pas avoir plus d’informations : Étienne parle de la privation de réponses mais pourtant, aucune lettre antérieure à 1864 n’a été retrouvé : soit les éventuelles lettres ont été perdues avec le temps, soit sa famille ne les a jamais reçues, rendant, de fait, difficile la moindre réponse !

Cependant, parmi les lettres retrouvées, une autre – encore une fois non datée – est adressée à son cousin Jean, fils de François qu’Étienne évoque dans sa lettre de 1864. En voici le contenu.

Mon bien cher cousen [cousin] Jean fils de
François
Je men praise [m’empresse] atécrire cest deux mots
pour te donner de mes nouvelle qui sont
assais bonne pour le moment grace adieu
et d’un cœur sensaire [sincère] je desire que la
presente te trouve dans un eta [état] de sante
telle que je la possaide moi-même en
ce moment
J’ais milles remerciment ate faires
de la bonte que tu avais pour moi de
ceque tu mavais marque que j’ais toujour
u [eu] envie dans les temps même encorre en
ce moment d’une acquisition auquel
tu mas offert dernierement des secourd
sil m’en man-quait pour complaitter
la somme a se sujet
Je ne me cache en rien seur [sur] cela [atoi, raturé]
a toi il m’était impossible d-y-penser
vu que je ne dois plus que j’en ais pour
le moment mes [cela a… raturé]
si j’avais eu quequear-jean [quelque argent] ils aurait été

Lettre non-datée à son cousin [2]

probable que je l’aurais fait non pas par
interais [intérêt] d’un avantage pour mieux faires mes
affaires mes pour donner une tranquillite ames
parents, une esperance pour le temps futur
pour mes propre interait [intérêts] ce naurais pas été
cela que j’aurais [rature] entreprix et auquel
jes paire [j’espère] entreprandre au plu-tôt possible mes
le grand service que j’aurais a te demender ce n’est
pas pour moi c’est pour mon frere mes
parents me parle d’une chause pour lui et
moi je pansais a une autre pour lui mes ils
feront comme ils lentanderons [l’entenderont] tous ensemble
voisi   sil lui était possible de pouvoir avoir
des papiez pour venir merejoindre il ferait
bien mieux que de passer les année a Chalon
quoi-qu’il fasse traix bien de faire ce qu’il fait
mentenent sils avait la même intantion que
j’ai pour lui se saurait de partir sans delay
Ce n’est pas qu’ils me manquerait beaucoup
pour le faire venir je pance meme avoir
assais pour cela mes comme je tien a payer
mes dette sil n’avais pas l’intantion de venir
Jaimmerais mieux payer qu’a tendre [qu’attendre] plu tard

Lettre non-datée à son cousin [3]

pour les payer ceque je te demande
pour lui : cest une somme à emprunter
pour son passage comme les prix sont
mentenent il en aurait assez de 600 francs
soit 120 dollars mes il vaut mieux
qu’il lui reste 200 fr que de lui en
manquer 10  si tu peux me fere [faire] ce plaisir
pour moi je te promet et mengage
a te les ranvoyer ausitôt quil serat
arrive en Californie. Si je fesais cela
pour lui je le fais a condition qu’ils
me le rendent quand ils les aurat
gagniez pour que je payes ce que
je dois isi   moi-même isi pour quand
a aitre [être] ocupe [occupé] je men charge pour lui
car le plus ba [bas] qu’il pourat mettre de
cotte [côté] se saurat de 60 a 75 franc par
moi [mois] [rature] à mettre de cotte pour le moin
800 frabc oar ab a lettre de cotte
aussi mal que cela puise [puisse] aller car les
connaisances que je me sui fait pour
moi seront la meme chause pour lui
comme ils sont pour moi et cela coute
du temps a lors [alors]

Lettre non-datée à son cousin [4]

et de la patiance pour sen faite cela te serat
peutaitre un peux fort pour toi voyant que
je sui en dette [endetté] mes si je te racontais tout tu verrais
que c’est bien la verite ce que jete dis   que lon
apprend toujour a ses depans mes pour lui
il aurat 100 avantage contre 1 pour moi jeus-
qu’a [jusqu’à] present insi si tu veux bien laider je te
promet de te payer comme [rature] je mengage
a le faire et apraix que je taurais renvoye [renvoyé] ce qu’il
aurat emprunter pour venir je lui ferais
envoyer 600 fr pour que mon père les donne
au gouvernement aven le jour de son tirage
au sor [sort] afin-qu’il puise [puisse] rentrer quand bon
lui feras plaisir san aucune dificulte pour
ce qui regarde entre lui et le gouvernement  que dautre
chauses j’aurais a te marquer mes une feuillie [feuille] nest
pas un vollume une autre foi dans que-que temps
je ten marquerais davante [davantage] pour insi dire mon romment [roman]
si cela te fesait plaisir je termine en t’embrassent [t’embrassant]
de cœur ne pouvent [pouvant] le faire en reallite en cemoment
milles compliments [pour, raturé] a ta femme et a tes enfants
pour moi et [rature] à mon oncle insi qu’a tes cœurs [sœurs]
Je suis pour la vie   ton tout dévoué cousen [cousin]
Brunet Etienne

Là encore, la lettre peut être lue en deux temps : Étienne remercie d’abord son cousin de lui avoir proposé de l’argent, « des secours », semble-t-il pour une acquisition – de terres vraisemblablement, proposition par ailleurs refusée : « il m’était impossible d’y penser vu que je dois plus que je n’ai pour le moment » justifie l’homme expatrié. Cette proposition de la part de Jean est-elle celle de février 1864 évoquée dans la lettre précédemment citée ? Il est permis de l’envisager ; Étienne précise en toute humilité que ces secours n’auraient de toute façon servis qu’une « espérance pour le temps futur » pour ses parents et qu’étant endetté, il n’aurait pu accepter une telle offre.

En vérité, la première partie introduit habilement le véritable objet de la lettre qu’il adresse à son cousin : prêter de l’argent à son frère cadet, Jacques Joseph, pour que ce dernier le rejoigne en Californie. Si l’on se réfère aux propos d’Étienne, la lettre est forcément adressée en 1866 ou peu avant puisqu’il évoque le tirage au sort de son frère pour la conscription, lequel s’effectue systématiquement aux alentours de la vingtième année du conscrit. Ainsi, Étienne écrit cette lettre dans le courant de l’année 1865 ou en 1866.

En tout et pour tout, il demande alors un prêt à son cousin à hauteur de 600 francs : commence alors un exercice de persuasion et de justifications. Étienne a certes des dettes mais compte sur son sens de l’honneur, sous-entendant même qu’elles ne sont pas dues qu’à son propre fait : « […] si je te racontais tout tu verrais que c’est bien la vérité ce que je te dis, que l’on apprend toujours à ses dépens. » Étienne promet donc non seulement de le rembourser, mais de faire profiter Joseph de ses conseils avisés, conseils qui lui permettront d’épargner jusqu’à 800 francs minimum par an, de telle sorte qu’en plus de rembourser son cousin, Étienne permettra à Joseph de faire envoyer à son père 600 francs pour régler ses affaires de conscription et de tirage au sort[3].

Avant d’apposer sa signature, Etienne propose à son cousin, si cela venait à l’intéresser, de lui raconter « son roman », le roman de sa vie, formule pour le moins originale. Jean Baptiste Sorlin Brunet est à peu près du même âge qu’Étienne,  né le 6 juillet 1830 ; Étienne habite d’ailleurs sans doute à Saint-Sorlin lorsque son cousin se marie avec Jeanne Clémentine Bernard, de dix ans son aînée, le 2 juillet 1855. Des enfants de cette union, Étienne n’a apparemment connu que l’aîné, Jean François Albert Brunet, né le 7 octobre 1856[4].

Pour ce qui est de la demande de mon grand oncle, difficile de savoir ce que son cousin lui répond mais en tout cas son frère n’est ni remplacé, ni exempté de service militaire.

9

En début d’année 1867, Etienne s’apprête à fêter ses 33 ans alors que sa mère n’est plus de ce monde depuis plus d’un an. À propos des hésitations qu’il exprimait en 1864 sur le fait de revenir à la mine ou de rester en ville, Étienne raconte, dans une longue lettre rédigée en grande partie à la fin d’année 1866, son quotidien. Le papier est bleuté, et presque le moindre espace est comblé par ses mots. Il n’habite plus San Francisco, son frère n’est pas avec lui et il semble même vivre seul.

Extrait de la lettre de 1866 écrite par Étienne. Le moindre espace de papier ou presque est comblé par ses mots. Coll. familiale, tous droits réservés.

New Yer Diggins le 30 decembre 1866 (en reponce de votre lettre dattee du 28 octobre dernier en 1866 a St Sorlin D’arves)

Mon bien cher père frere et sœurs
En terminent bientôt cette annee je
vous ecri ces quel-ques mots que probablement ne seront termine
d’aittre ecrit qu’en commancent 1867 –               Dieu veullie [veuille]
que la future nous soit favorables atous je vous la soites [souhaite] 1°
à vous Mon bien cher père de même qu’a mon frere et mes [rature]
sœurs insi qu’a tous les parents oncles tantes [ ?] cousins et
cousines amis et amies. e la soitterais [souhaiterais] de même aune [à une] bone amie si j’en
avais une en fin je soitte [souhaite] que 1867 vous soit favorable
en tout et portout [pour tout] Mes [mais] qu’une sante parfaitte puisse pour
toujous vous accompagnier mes [mais] pour cela adraisons [adressons] nous d’un
cœur tout sensaire [sincère] au Grand Metre [Maître] universel Dieu
seul peut tout pour chacun de nous [rature] qui somme morttel
car sans lui nous ne pouvons rien unisons donc nos prière pour
[rature] lui demander protection pour chacun de nous affin
d’oppelenir [obtenir] par sa misericorde toute divine les grace que nous
avons besoins … – … Mon bien cher père vous me demande
mon avis consernant le tirage au sort de mon frere je ne sais sil
elle vous ait parvenue jevous l’ais di seur [sur] une lettre qui ait partie
disi [octobre, raturé] a la fin octobre je pence bien que celle-ci n’est point
perdue car je les remise moi-même au conducteur de la poste
mes en tous les cas faitte pour le mieux je croyais comme vous me
laviez esplique seur [sur] les lettres que jai resu [reçues] avant cette derniere que lon
donnait 1500 fr et si le N° était bon qu’on vous rendait 1000 fr.
Cela aurait été plus prudant selon moi de lassurer je me disais ses [c’est]
500 fr. de perdu sil tire bon mes [mais] aussi il ait ramplace [remplacé] pour 1500 f.
sil ait partant   plus sil at une chance d’aitre reforme que jen connaisse

Lettre du 30 décembre 1866 (2)

raison de plus pour ne pas lassurer puis en outre cest comme vous me ditte il lui
reste 3 chances   celle d’avoir bon, celle d’aittre de la 2° et celle en quesquions [question]
que jene connait point mai pour toute conclusions faitte pour le mieux
Vous me parle [parlez] isi [rature] que si cela ne me fesait rien de vous ferre ce plaisir
de m’an aller cette annee vous vous trompe [trompez] cela me fait même beaucoup
de ne point pouvoir m’an aller cette annee ou soit comme je vous lavais
promi il y a 2 ans que je serais au pays en 1867  et bien cher père
frere et sœurs je ne le peux pas je vais vous lexpliquer bien clairement
les raisons pour quoi je ne le peux pa [ :] dabor vous me croyez de largean [de l’argent]
au lieux d’an avoir jais des dettes m’an aller et ne pas payer ceux que
je dois cela ne se peut pas je ne suis pas lhomme pour cela sil ne me restait
aucune dette et que jave [j’avais] de largean [de l’argent] pour mon pasage seulment tout juste pour
vous aubeyr [obéir] je le ferais sans delay [délai] voici ma position [ :] je dois 1500 fr.
a une personne auquel il mat fait le plaisir de me les praiter plus 700 fr.
a un autre [.] il ait vraix que lon me doit 500 fr. que je ne toucherais jamais
et plus 450 fr. dans une banque qui ait traix bonne je ne parle meme pas de
400 fr. qui ne sont pas payez et qui tous arrierage sont en retard comme je vous
lavais déjà di une fois  mentenent pour vous finir de vous dire ma position jai
fait des travaux preparatoire toute lete [l’été] qui même en ce moment ne sont pas
fini a cause d’un mal que jais a a une jambe auquel il a u 2 au protin [ ?]
passe que je misuis donne [donné] un coup seur [sur] los de la jambe. Ce coup ait reste
entre los et la cher [chair] et a été 18 mois sans que je man resante [ ;] lanne [l’année] derniere
dans le courant novembre je me suis resantu [ressenti] que que-que chauses me fesait mal
je ne savais quoi [ ;] enfin l’hiver dernier c’est passe [passé] 8 jours mal et 15 jours bien
mai dans le courant 7bre [septembre] cela mest revenu plus fort que jamai et m’obli-gie- [m’oblige]
a ne pres-que rien ferre pendan 2 mois. C’est ce qui m’at mis en retard pour
mes travaux sans cela je ne peux le dure assurement mes san autre embition [ambition]
que celle de payer a ceux que je dois et le largean pour mon passage jaurais
pu le faire en my prenant comme etions [étaient] mes intantion mes il faut
esperer que dans le courrant de 1868 nous nous reverrons tous ensemle si nous sommes
vivants

Lettre du 30 décembre 1866 (3)

Jais un claime de caniade de 900 pieds de long seur [sur] 50 pieds de chaques cotte du
millieux de la caniade. Caniade cela veut dire comme a notre patoi comban
ou golge en englais  Caniade cet espaniol vous pouvez en parler avec Chaix
lui peut a peu praix comprendre ce que peut me rapporter mon travail
comme je veux le travallier jai claime pour ferre un canal pour ramasser
toute laus [l’eau] des pluie qui desandant [descendent] des pentes au de su [au-dessus] de mon canal dont
5 caniade venant tout [tous] se reunir dans mon canal [.] Ce canal contient 2500
mettres de long il peut contenir de 60 a 80 pouce dau [d’eau] plus je ferais dans
le courant de lete [l’été] prochaine des reservoir pour en retenir toute lau [l’eau] qui coulle
la nuit jaurais donc au moi [moins] 100 pouce dau [d’eau] par jour a debiter pendant
que les autre en auront 20 pouce pour chaque instellations [.] je metterais plus
sieurs [plusieurs] instellations auquel je peux trouver des hommes qui me donneront
la moitiez de ce quil feront dans chaque [rature] relevée [.] Si je navais pas ete [été] malade
tout cela serait fait comme mon claime ait dispose jaurais pu mettre 4 ins
tellations [installations] pendant 2 mois de temps et 2 pendant 1 mois je veux dirre que je
compte seur [sur] 3 mois dau [d’eau] dans livert pour moi [.] vu que je ramasse lau [l’eau] des
environs toute reuni ensembles je peux travallier 1 mois plutard que les autres
de manière que cela fait comme sil-y avait une seulle instellation qui puisse
travaillier 10 mois de temps. Il y at 1 ½ de terre qui me paye 1 sous il nya pres-que
pas de pierre plus le desu [dessus] 1 ½ qui me paye 1 santime la battée ou demi so [seau]
de terre. Chaque homme peut en mettre 500 baquet [battées] au si [aussi] par jour chaque ins-tellations
peut entretenir 4 hommes de manière que jaurais pu partir a la fin de livert
de 1867. Ce que jai mis 1 ½ en deux foi ce sont des pieds d’auteur de terre mentenent [maintenant]
devers [divers] place dans le claime ou plusieur qui dans les temps y aviont prospecte y ont
trouve [trouvé] de gren [des grains] de 25 sous a 50 fr. et il parait que dans une place quil y aurait
chance d’antrouver [d’en trouver] encorre quel-que un [.] Cela je le travallierais moimeme a moi [moins]
que je trouve a vandre [vendre] un prix convenable mes [mais] amoins de 1500 piastres je ne
vanderais pas ce qui fait 7500 fr. Je mi sui bati une meson [maison] en pierre auquel
les murs sont de 6 ½ de au [haut] et un plafon en ardoisex [ardoises] et [un pouce, raturé] ½ seur [sur] les ardoises
il y at 3 pouces de mortie [mortier] la batisse au de su [au-dessus] on peut [rature] y aller droit dedan le millieux

Lettre du 30 décembre 1866 (4)

et elle ait couverte en cardan [ou bardan] cest tait [c’était] labitations de mes poulles mes elles ne font
que dy pondre et y couve celle qui veulle couve [couver] elles ont pris pour leur demeure un
grau [gros] chaine [chêne] qui ait a cotte de ma case ou meson [maison] [ ;] j’an ais 12 poulles et 1 coque mes [mais]
M, Chaqual m’an at prise une il m’en reste plus-que 11 et le Coq et un
peti chat qui ait traix janti [est très gentil] [ ;] il ne mange jamai le beurre qu’on lui met
seur [sur] lanne [l’année ?] voila toute ma fortune et ma famillie [famille] jattand mentenant si mon
cousin Jaques me ferat reponce ala lettre que je lui ai ecritte le 25 courant ou sil
ait contant de ce que je lui ais di que jallais repondre a son frere Joseph comme je
connais les santiment de Jaques mon cousin et plus vu qu’il ny at pas longtems
que je les [l’ai] vu soit qu’il est venu me voir il y at 20 jours environs[.] Si linfortune ne le
poursuivais pas comme cela m’arrive a moi il serait venu passe lhivert avec moi
mes [mais] la chance nous en veut pas enfin il faudrat bien qua praix [qu’après] le mauvai
qu’il vienne le bautemps[.] a 11 ½ passe ce 31 courant apraix [après] mon soupe [souper] je reprend mon
travaillie [travail] commence par la soire [soirée] de yier [hier] le soir tout en attendant que le coque qui
comme je lesperre [je l’espère] saluera la future je la saluerais moi-même aussi   voici ce que jai
di amon cousin Jaques que jallais dirre amon cousin Joseph que comme je ne peux
dire quelle sont les intantions de Jaques au juste mes [mais] comme ces la verite nous
ferrons notre route de retour ansamble pour nous rendre au pays natal
vers 1868 et comme disant autre foi [autrefois] Brunet le vieux liron [ou biron] a sarose ravan
resse je ne le’berche pa ce qui est pour le mulet nes pas pour les aniaux [agneaux]
ce saurait [serait] ebercher les disaines que de partir avan   a moi [à moins] une chance
nous arrive avan ce temps comme cest mentenant le temps des vandange a cha-que
mineur nous ne pouvons pas nous rejoindre ensemble pour pouvoir vous ferre
une lettre soignie [soignée] comme je l’aurais desirer mes [mais] plutard lors-que la saison sera
passe [passée] nous vous ecrirons mieux que cela je termine ma lettre en vous soitant [souhaitant]
la bonne année tout en la saluant par quel-ques coup de bouche a feux
père frere et sœurs je vous embrasse [rature] de tout cœur insi que tous les
parent et amis je suis pour la vie votre tout devoue fils et frere Brunet Etienne 1 jour de 1867
Vous ferrez par dune bonne anne a tous les parents et amis de ma part [rature] et une bone sante comme
je la possede moi-même en ce moment une sante parfaite a tous specialement tante Didier

Lettre du 30 décembre 1866 (Marge)

[en spirale] le bonjour a ma tante didier et a Brunet Jean fils de François particuliairement 11 jv 1867

Je vois isi en lisant
ma lettre que joubliais
de vous dirre que je suis parfaittement bien guerri mentenent de ce mal de jambe car la personne qui m’at soignie
cest une mexikquaine [mexicaine] elle y ami des choses qui ont ronge [rongé] toute la cher meurtrie jeus-qu’a los puis ensuite
elle y at mix des feuillie [feuilles] qui ont fait repousse les chers [chairs] auquel l’on n’an connait pres-que plus la place
du mal mentenent soit ou était le mal   jattend encorre quelque jours pour l’anvoyer si mon cousin Jacques
venait avenir ou ecrirre un billiet pour envoyer a mon cousin Josephe
Cher père plusieur foi jai ouble [oublié] plusieur foi de vous donner le bonjour de la part de mon cousin Jaque insi qua toute la
famillie cette fois je suis oblige de ne pas oublier vu quil ait la pour me le rappeller [signature d’Etienne]

Comme sur chaque lettre adressée à sa famille proche, Étienne commence par des formules pieuses. Il continue ensuite en évoquant son frère Jacques Joseph et sa conscription. Un décret impérial du 29 décembre 1804 régit les principes de conscription en France : à cette époque, chaque canton ne doit fournir qu’un certain quota d’hommes, célibataires et veufs sans enfant. Ce quota, différent selon les époques et les temps de guerre par exemple, est établi d’une part par l’engagement volontaire des individus, d’autre part par le tirage au sort. Trois possibilités s’offrent alors au candidat : soit il tire le « bon » numéro, auquel cas il n’est pas mobilisable ; soit il tire le « mauvais » numéro et est mobilisé ; soit, enfin, il s’assure d’être remplacé en cas de mauvais numéro sorti moyennant une somme d’argent.

L’enjeu est en tout cas de taille pour le père Brunet : si son cadet est mobilisé, il n’aura plus aucun fils pour l’aider au quotidien. Étienne semble ne pas vouloir trop s’avancer, d’autant que les règles françaises et sardes en matière de recrutement militaire, quoiqu’assez similaires, avaient certainement quelques divergences.

Étienne répond ensuite à son père quant au fait qu’il ne soit toujours pas revenu au pays : il s’en défend en expliquant qu’il est endetté et en retard sur des travaux préparatoires en raison d’un mal de jambe qu’il s’est fait il y a de cela deux ans. Son père, préoccupé de savoir que son cadet est potentiellement mobilisable doit sans doute presser son aîné et l’inciter à vite revenir. Étienne se montre impuissant. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il souhaite véritablement remettre les pieds un jour en Europe, à l’image de cette phrase : « […] mais il faut espérer que dans le courant de 1868, nous nous reverrons tous ensemble, si nous sommes vivants. » La condition évoquée n’est pas d’ordre économique – alors qu’il se défend d’avoir des dettes – mais est ultime : « si nous sommes vivants ». Étienne passe alors à la narration de son quotidien, comme pour vanter cette fois-ci la vie qu’il s’est construite en Californie.

Il a acquis un “claim” (une propriété) consistant en une combe (le terme de caniade en espagnol est en fait le suivant : cañada, qui désigne un vallon, une combe en français, comban en patois) de 900 pieds de long (275 mètres environ) sur 50 pieds (25 mètres). Vraisemblablement, Étienne cherche de l’or à partir d’un long canal qu’il a construit : il se situe apparemment en contre-bas de plusieurs autres vallons (il en évoque cinq). La contenance de ce canal est d’environ un litre (60 à 80 pouces) et Étienne espère installer des réservoirs qui lui permettront de récupérer l’eau de pluie la nuit, ce qui lui permettrait de disposer de 100 pouces soit plus d’un litre et demi d’eau à prospecter par jour, contre 300 millilitres (20 pouces) à peine pour les autres orpailleurs du coin. Les baquets dont il parle désignent des récipients en bois, qui servaient à stocker l’eau avant de la tamiser. Étienne justifie l’intérêt de son emplacement en ce sens qu’on lui a dit qu’autrefois on y avait trouvé des grains d’une valeur allant jusqu’à 50 francs. Ainsi, il n’exclut pas de vendre son domaine mais à un prix conséquent ne pouvant être en dessous de 7500 francs.

Étienne parle ensuite de sa maison, qu’il a construite en pierre avec un toit d’ardoise. Plus loin, une « bâtisse » pour ses poules, terme non dépourvu de dérision. Au total, entre la fin d’année 1866 et le début 1867, il possède 11 poules et un coq, avec une poule emportée par « M. Chacal », formule une nouvelle fois originale si ce n’est que le responsable de l’enlèvement n’est sans doute pas un chacal, absent d’Amérique du Nord, mais de son cousin le coyote. Enfin, un petit chat « très gentil » vient terminer la description de « sa fortune et sa famille. » Un témoignage exceptionnel de ce à quoi pouvait ressembler la vie de ce grand oncle.

Aujourd’hui disparu, le village minier de New Years Diggins se trouve à quelques miles au sud de La Grange, dans le comté de Stanislaus. Peut-être quelque part par là… Photo : Google Maps.

En début de lettre, Étienne confirme que Vincent Chaix habite désormais de nouveau Saint-Sorlin-d’Arves ; en fin de lettre, il nous donne aussi une indication quant à Jacques Balmain, son cousin. Apparemment toujours en Californie, sans que nous l’ayons trouvé dans le recensement de 1860, Étienne déplore le fait qu’il ne puisse venir passer l’hiver avec lui, faute de moyens, mais garde espoir avec une expression encore très usitée aujourd’hui : après la pluie, vient sans doute le beau temps. Étienne reprécise qu’avec son cousin Jacques, ils ont l’intention de revenir au pays pour l’année 1868 mais s’agit-il d’un vœu pieux ou d’un véritable projet ?

La signature de Jacques Balmain en marge de la lettre, dans une des bordures, indique, comme le souligne mon grand oncle, qu’il est désormais « là pour lui rappeler » de bien donner le bonjour à son père, son frère et ses sœurs. Les contacts entre eux sont donc avérés en Californie.

Au moment où il envoie sa lettre, soit au commencement de l’année 1867, Étienne sait-il déjà que son frère Joseph est mobilisé, faisant partie de la classe de 1866 ? Sans doute pas, il n’en fait en tout cas pas mention dans la prochaine lettre, qu’il rédige deux ans plus tard, en 1869.

Suite au prochain épisode.

Notes

[1] Elle est décédée à Saint-Sorlin-d’Arves le 4 novembre 1865.

[2] Bien que le plus souvent fermée au public, une fente dans laquelle il est possible de glisser des pièces permet de faire vœux et prières.

[3] Jusqu’en 1872 et la loi Cissey qui rétablit un service militaire universel, il est possible de payer une certaine somme d’argent pour le remplacement voire l’exonération de service militaire.

[4] Pour l’anecdote, Jean François Albert Brunet deviendra ecclésiastique, entrant dans les ordres majeurs à Rome le 25 mars 1879. Par la suite, il sera notamment vicaire général de Mgr Grumel, évêque de Maurienne. Une photographie d’une visite pastorale de 1929 à Chamoux-sur-Gelon, sur laquelle apparaît Jean François Albert est même disponible en ligne : http://www.chamoux-sur-gelon.fr/page/1929-visite-past.

Suite de l’épisode 6 – Aux origines

CHAPITRE II – LE DEPART

5

Pour Étienne, la première étape de l’aventure américaine commence avec l’embarcation à bord du Mataro le 23 octobre 1858 au départ du Havre. Bien sûr, Étienne n’est pas seul : il est accompagné de Jacques Balmain, 44 ans, Vincent Chaix, 28 ans et de Jean François Arnaud, 27 ans. Étienne est le plus jeune des quatre et arrive au bout de sa 24e année.

Près de 900 kilomètres séparent Saint-Sorlin-d’Arves – qui appartient toujours aux États sardes à cette date, rappelons-le – et Le Havre. Comment les quatre individus s’y sont-ils rendus ? Un manque cruel de sources empêche de retracer avec exactitude l’itinéraire des Mauriennais jusqu’au Havre. Aux Archives Départementales de la Savoie et la série appartenant au fonds sarde (1FS), aucune trace de demande de passeport : en cause, des registres très lacunaires. Difficile donc de savoir à quelle date Étienne est parti de Saint-Sorlin ni par quel moyen s’est-il rendu dans la ville portuaire du Havre en 1858. Il est très probable que la petite compagnie ait pris le train, au départ de Saint-Jean-de-Maurienne, empruntant la ligne historique nouvellement créée par Victor-Emmanuel II, en 1853. Ils auraient alors rejoint Chambéry, puis la Suisse, avec Genève. Aux Archives Départementales de la Savoie toujours, une piste intéressante a permis de déduire le parcours des quatre Mauriennais.

Contrat de voyage retrouvé aux Archives départementales de la Savoie, janvier 2016. Il est probable quÉtienne et ses amis soient passés par cette agence pour traverser l”Atlantique. Malheureusement très lacunaires, aucun autre type de contrat en particulier avant que la Savoie ne soit française) na été retrouvé.

Le document, seul de ce genre retrouvé aux archives, concerne un contrat passé entre un homme de Saint-Michel-de-Maurienne, Antoine François Didier, et une agence d’émigration censée lui permettre de rejoindre l’Amérique du Sud. En en-tête, nous pouvons lire : “Paquebots réguliers entre Le Havre New-York – New-Orleans – et Buenos-Ayres”. Il est probable, donc, qu’Étienne et ses trois compères aient fait appel à cette agence. D’où un voyage en train qui passerait par la Suisse, puis par Lyon, Paris et, enfin, Le Havre. Néanmoins, voici ce qu’écrit, sur l’émigration, le chanoine Louis Gros, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’émigration a aussi pu se faire à pied ! Ce dernier évoque en effet « la peine des émigrants » en ces termes :

« Ce n’est pas un voyage de plaisir que faisaient les émigrants. Ils quittaient leur village à l’automne, habituellement du moins, alors que les gros travaux de l’été étaient terminés. Ils partaient à pied ; l’un d’eux nous a dit qu’il franchissait en quinze jours la distance qui sépare Saint-Jean-de-Maurienne de Paris, ce qui fait une moyenne de 40 kilomètres par jour. Le soir, ils prenaient un peu de repos réparateur dans une hôtellerie bien modeste, à savoir une grange ou une écurie. […] À partir de 1850 surtout, la police française fut sévère. Chaque émigrant devait être muni de moyens d’existence suffisants pour faire son voyage jusqu’à destination ; il devait avoir 50 francs en poche ; sinon, il était impitoyablement refoulé. Le pauvre est gênant ; il doit rester dans sa chaumière. » [1]

Ici, Louis Gros parle notamment de l’émigration saisonnière en France mais ce qu’il dit concerne évidemment tout émigrant traversant la France à cette période. Pour les Mauriennais partis en Amérique du Sud, les départs se faisaient surtout à partir de Gênes, ville portuaire italienne  la plus proche quand on part de Maurienne.

Mais revenons un instant sur les trois individus qui partent avec Étienne, tous originaires de Saint-Sorlin.

Jacques n’est autre qu’un cousin d’Étienne : il s’agit en réalité du cousin germain de son père, François Brunet. Pierre Jacques Balmain naît le 11 janvier 1814. Ses parents, Pierre Balmain et Marie Brunet, grand-tante paternelle d’Étienne, sont tous deux cultivateurs. Il est l’aîné des garçons d’une fratrie de six enfants. En raison de son âge au moment du départ, 44 ans, il est plausible que c’est lui qui entraîne Vincent, Jean François et Étienne dans l’aventure californienne. Vincent Marie Chaix naît le 5 août 1830 d’un père charpentier – Jean-Baptiste Chaix – et d’une mère cultivatrice – Catherine Didier et demeure le cinquième enfant d’une fratrie de onze. Enfin, Jean François Arnaud naît le 24 mai 1831 et est aussi, comme Jacques et Étienne, l’aîné des garçons dans une fratrie de huit enfants [2]. Vincent Arnaud et Anne Guille – ses parents – sont, sans surprise, cultivateurs à Saint-Sorlin.

Ce sont certainement les seuls Mauriennais à embarquer ce 23 octobre 1858, au Havre, lesquels sont par ailleurs désignés comme étant Italiens. À leurs côtés, des Français bien sûr, mais aussi des Allemands, des Italiens de l’île de Sardaigne, quelques Américains, des hommes seuls, des couples et aussi quelques familles [3], au total 215 passagers tous réunis pour une traversée de l’Atlantique de plus d’un mois.

Dès son arrivée à la Nouvelle-Orléans, le capitaine du navire recense tous les passagers. Parmi les 215 personnes, se trouvent Jacques Balmain, Vincent Chaix, Jean François Arnaud et Étienne Brunet. En 1858, la Savoie n’est pas encore française et c’est sans doute ce qui explique la raison de la mention, approximative, du capitaine quand il désigne leur pays d’origine : l’Italie… Qui n’existe d’ailleurs encore pas en 1858 !

6

5 décembre 1858, l’entrée sur le territoire américain se fait par la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, sur la côte est des États-Unis, jadis partie intégrante de la Nouvelle-France. Quel est l’état d’esprit des quatre Mauriennais ? Sans doute un mélange de fatigue, d’excitation et de surprise. En 1860, d’après l’étude du recensement de la même année par Jacques Houdaille [4], 4039 personnes – dont une majorité d’hommes – habitant la Nouvelle-Orléans sont natifs de France [5], sur une population globale d’une centaine de milliers de personnes. Difficile d’imaginer qu’Étienne, Jacques, Vincent et Jean François soient anglophones à leur arrivée aux États-Unis ; se dirigent-ils vers le Vieux carré, quartier français au centre historique de la ville ? Aussi voient-ils certainement de leurs propres yeux le commerce d’esclaves pourtant officiellement interdite depuis une loi de 1807.

CHAPITRE III – LA VIE EN CALIFORNIE

7

Déclarés farmers – cultivateurs – sur la liste de passagers, ce n’est sans doute pas en ville qu’ils comptent de toute façon rester. Le 8 juin 1860, au moment du recensement de la population de Californie, nous retrouvons Étienne, Vincent et Jean François en Californie, dans le comté de Stanislaus, non loin de La Grange [6]. Aucune trace en revanche de Jacques Balmain.

Construite à l’origine par des pionniers Français qui auraient trouvé de l’or après avoir sillonné en bateau la Tuolumne River, La Grange – à l’origine appelée French Bar – est un petit village situé à plusieurs dizaines de kilomètres à l’est de Modesto, siège du comté de Stanislaus.

En moins d’un an et demi, Étienne, Jean François et Vincent ont traversé les États-Unis d’est en ouest. Pas moins de 3000 kilomètres séparent les deux régions. Deux possibilités : soit ils reprennent le bateau et rejoignent la Californie par voie maritime en passant par le Panama, soit ils effectuent le voyage en band wagon – en diligence – par voie terrestre, le train n’existant évidemment pas en 1860. Jusqu’à la mise en place du Pony Express en avril 1860, l’ouest américain est encore largement isolé de l’est du territoire américain. [7] Ce service postal ne reste en place toutefois que peu de temps puisqu’il disparaît en octobre 1861 car insuffisamment rentable. L’acheminement du courrier s’effectue alors en diligence et est pris en charge par des sociétés comme la Butterfield Overland Mail.

En case 108, nous retrouvons bien Vincent “Schaix” et Frank “Arnaux” ; à côté, seul, c’est bien Étienne Brunet qui est mentionné…

 

Le recensement de 1860 en Californie mentionne donc Étienne, Vincent et Jean François [8], le premier vivant seul à côté des deux suivants. Les trois sont déclarés comme étant Sardinian – Sardes. Dans la zone où ils se trouvent, de nombreux Français et autres Sardes, sachant qu’il est impossible de distinguer s’il s’agit de Sardes de l’île de Sardaigne, ou de Sardes « Savoyards ». Quoiqu’il en soit, les trois Mauriennais sont désormais Français depuis le Traité de Turin du 24 mars 1860 qui officialise le rattachement du duché de Savoie et du comté de Nice à la France.

Les trois sont déclarés miners – mineurs, tous certainement à la recherche du métal jaune précieux. Autant dire qu’à cette date, aucun des trois n’a beaucoup de chance : l’officier chargé du recensement estime la valeur des biens immobiliers et personnels de chaque ménage qu’il visite : celui de Vincent et Jean François représente 5 dollars en biens immobiliers, celui d’Etienne 8 [9], aucune valeur personnelle n’est indiquée. Pour comparaison, à côté d’Etienne, vit Félix Noël, un Français, seul dans son ménage : l’officier indique 50 dollars en value of real estate et 400 en value of property estate. [10]

En fin d’année 1864, Vincent Chaix n’est plus en Amérique comme en témoigne une lettre d’Étienne, la première datée que nous avons à disposition. Elle est écrite depuis San Francisco, le 1er décembre 1864, comme en témoigne d’ailleurs le poinçon « SF » en haut à gauche de la feuille de papier sur laquelle écrit Étienne[11].

.L’orthographe est parfois très approximative. Pour exemple, le mot “lettre”, écrit “laittres”… Coll. familiale, tous droits réservés.

St Francisco ce 1 decembre 1864

Mes biens chers parents
père et mere frere et cœurs [sœurs]

Je me hatte en ce jour de repondre a vos deux laittres
que je vien de recevoir yer [hier] 30 septembre 1864
la premiere comme la segonde ayent ette arraite
parles indien seur [sur] la malle overlande qui passe par terre
qui ont ette aublige [obligé de] revenir a noyork pour passer par mer
le nombres des laittres en retard était de 100 : mille [100 000]
de manière qu’il n y a de negligeance ni de votre cotte [côté] ni du
mien :                   mes chers parents j’aprand avec
beaucoup de paine les reverts qui vous sont arrive [arrivés] en juliet [juillet]
Cette une perte il est vraix mais il faut espere qu’avec le
temps qu’elle se guerira   il ne faudrait pas pour un mulet
serait il même deux se chagriner pour cela les jumian [juments]
en font encor des autres    puis apraix [après] tout ce la n’avance
à rien dutout   si c’est [rature] tel que vous me le marquer dans
vos deux laittres randons grase [grâce] a l’aitre supraime de nous [rature]
avoir conserve la santé a chacun de nous et je muni [m’unis] a vous
tous pour que nous lui demendions d’un cœur sensaire [sincère] de nous
[rature] proteger desorme [désormais] et de nous rassembler [rature] tous ensembles
au plutôt possibles comme nous le desirons en parfaitte sante

J’ais [rature] été traix satisfait de tous les [rature]
[rature] detail que vous m’ave faits dans vos deux laittres dont
[un] peti [rature] billiet, [raturé] Je viens de recevoir je men vais main-
-tenent repondre a quel-que une des quesqu’on [questions] de celle que vous
m’avez ecris en fevrier le 29 1864. J’ecrire sur les compliments
qui mont été fait de tous les parents et amis et speciallement
ceux d’une tante d’un oncle dune marraine apraix ceux de ma
famillie [en soit, raturé] mes enfen j’abraige un peux seur lapresente
mais je leurs rend [rature] atous bien le bon jour et biens des

Lettre du 1er décembre 1864 [2]

Compliments de ma part vous leur dire que jespair
en corre un jour les revoir et leur faire mes compliment en
personne   que je mu ni [m’unis] a eux comme avous pour en demander
a Dieu la grace par une priaire sensaire [sincère]
plus j’ais été assais contemp de savoir ce que vous deviez encorre.
mon cousin Jaques doit partir pour alle au pays pour vous
ramener tous isi voila pour quoi je vous en parle c’est pour que
vous soyez tous prait qu’and il arrivera car il n y restera pas
longtemps il ne senva que pour re voir en corre sa mère ma
tante nous avons resu de c’est nouvelles il ya 2 mois quil avait ecri
d’es ornite [désormais ?] il se porte bien. pour moin [moi] j’ai toujour bricolle de
drote a gauche isi en ville pendan 2 mois jais reste 3 mois en service
dans une maison mentenent je ne sais se que je ferais mentenent
si je partirais pour les mine ou si je resterais isi en ville
pour quand à toi mon bien cher cousen [cousin] Jean fils de François
Je te remercie beaucoup de loffre que m’avais fait en fevrier
dernier je t’au rais lameme aubligation a ce sujet je te fais bien
mes compliment insi [ainsi] qu’a toute la famillie je te soite [souhaite] bonheur et
prosperite dans toutes tes afaire ; Arnaud jouit egalement dune
bonne sante et [travaillie ?] toujour de s’on etat    isi il vous prie
de dire a cest parents qu’and il lui ecrirons de mettre ses
deux nom de baptaime vu quil-y [a] isi des autres Arnaud
mentenent en allant chercher les mienne j’an ai vu une Arnaud
François restaurent et je lui en ais parle il at été pour la
voir. elle ny était plus lors quil y at été et avec les deux
non se serat plus fasille il n-y auras pas crainte dese tromper
vous donnerez bien le bonjour a Chaix Vencent [Vincent] de ma part et de
celle d’Arnaund et en fen [enfin] je vais termine en vous disent de ne
pas vous chagriner. Je vous fai atous bien des compliment et je
desire que la presente vous trouve tous en parfaitte sante père et mere
fere [frère] et cœurs [sœurs] et a tous les parents et ami dans quel-que temps jevou
ecrirais une laittre un peux plus soignie [soignée] que cellesi vu que je
ne sais se que je ferais de orsme [désormais] comme je vous ai di ci desu je
vous embrasse tous d’un cœur sensaire [sincère]. Je sui pour la vie
votre tout de voue [dévoué] fils et frere Brunet Etienne

Lettre du 1er décembre 1864 [en marge]
Si par [rature] foi [parfois] vous autres comme les parents d’arnaud etions [étiez] de cide [décidé] de venir, vous noule [nous le] marquerie [marqueriez]
au plu tôt mes [mais] l’un comme lautre notre ide [idée] ait la meme a cet egard pour lembition de vous revoir au pays
se que vous ne vous y decidie [décidiez] pas de venir isi je vous recommende de ne pas vous chagriner du bien de
la terre

San Francisco au début des années 1860.

D’abord sur le lieu et la date de rédaction de la lettre : Étienne se trouve à San Francisco. Il dit écrire en réponse des lettres reçues le 30 septembre, s’est-il trompé en voulant écrire novembre ? Quoiqu’il en soit, sur les lettres reçues de sa famille justement, il explique qu’elles ont sont arrivées après un retard significatif dû notamment aux « Indiens » qui auraient arrêté la malle de courriers transportée par l’Overland. Avant la complète mise en place des chemins de fer, les attaques indiennes sont monnaie courante dans la mesure où l’Overland franchit en toute impugnité le territoire des autochtones. Pas moins de cent milles lettres sont donc reçues en retard, puisqu’on a ramené celles-ci à New-York, d’où elles sont reparties en bateau, et arrivées donc à San Francisco par voie maritime comme l’explique Étienne.

Après ces explications, le jeune Mauriennais répond, aux désolations de ses parents et notamment la perte de bêtes en juillet 1864 : il se veut rassurant et invoque Dieu non seulement de tous les garder en parfaite santé mais aussi de tous les rassembler : ainsi, ce qui pouvait apparaître comme l’œuvre d’une aventure solitaire se révèle en fait être une aventure qu’Étienne désire familiale. Étienne y revient deux autres fois par la suite : après avoir passé le bonjour et ses amitiés à tous ses proches, il évoque Jacques Balmain, son cousin avec qui il est parti en 1858, qui doit revenir au pays pour sa mère [12], certes, mais aussi, surtout, pour ramener les familles : c’est ce qu’Étienne semble appeler de ses vœux lorsqu’il écrit « […] Jacques doit partir pour aller au pays pour vous ramener tous ici voilà pourquoi je vous en parle c’est pour que vous soyez tous prêts quand il arrivera […] ». Enfin, il enfonce le clou en marge de sa lettre quand il écrit qu’Arnaud et lui, ont la même idée : faire venir leurs familles respectives en Californie. Pour les convaincre, Étienne rassure les siens en leur précisant qu’où il vit, les terres ne manquent pas ; argument ultime quand on sait à quel point les bouts de terre étaient précieux dans un village alpin où, les fratries étaient nombreuses, et où les parcelles de terre n’étaient finalement pas extensibles.

De plus, le fait qu’il se dise satisfait d’avoir reçu des « compliments » de la part de ses proches et « spécialement ceux d’une tante, d’un oncle, d’une marraine, après ceux de ma famille » prouve bien qu’il n’y a pas eu de rupture au moment de son départ de Saint-Sorlin avec ses proches. Tous semblent l’encourager dans son nouveau départ, peut-être par espoir qu’Étienne puisse gagner de l’argent et mettre en sécurité les siens.

Outre le fait qu’il souhaite revoir les siens auprès de lui en Californie, Étienne explique qu’il « bricole » de droite à gauche en ville depuis quelques mois, « en service dans une maison » notamment et qu’il hésite à « partir pour les mines », en réalité repartir puisque, nous l’avons vu, en 1860, il est déclaré comme étant mineur, ou rester en ville. Le reste de la lettre nous donne des indications toutes plus intéressantes les unes que les autres : d’abord, le cousin qu’il remercie – Jean, fils de François – n’est autre que Jean Baptiste Sorlin Brunet (1830-1908), cousin germain de son père : Étienne lui envoie même une lettre, malheureusement non datée, sur laquelle nous reviendrons prochainement ; ensuite, une anecdote sur Jean François Arnaud, qui n’est appelé d’ailleurs que par un seul prénom (comme Jacques par exemple qui s’appelle en réalité Pierre Jacques Balmain) : il s’agit donc bien de lui dans le recensement de 1860, aux côtés de Vincent Chaix, dénommé en effet « Frank Arnaux » – dans une orthographe très approximative – Frank étant la forme anglaise de François.

En fin de lettre, le bonjour conjoint d’Étienne et de Jean François à Vincent Chaix indique que ce dernier n’est déjà plus à leurs côtés en 1864 et qu’il est retourné vivre à Saint-Sorlin-d’Arves. Le retour de Vincent est-il la conséquence directe de son manque de « fortune » constaté lors du recensement ?

Enfin, il faut s’arrêter un instant sur la signature d’Étienne, laquelle demeurera inchangée tout au long de sa correspondance : « Je suis pour la vie », titre de mon roman. S’agit-il d’une simple formule ou est-elle le reflet d’une appartenance quelconque d’Étienne ? Depuis 1855 en effet, La Grange habite une loge d’Oddfellows – terme anglais qui désigne une société amicale, aussi appelée société amicale et pourrait peut-être expliquer l’expression d’Étienne de par l’aspect philosophique qu’elle revêt quoiqu’il faille noter que les Oddfellows, à la différence des loges maçonniques par exemple, sont davantage axés sur le secours mutuel de ses membres et la mutualisation financière que sur les aspects rituels et philosophiques de la franc-maçonnerie. Toutefois, il ne s’agit là que d’une hypothèse. L’expression est peut-être tout simplement d’inspiration religieuse, religion catholique ô combien présente au milieu du XIXe siècle dans un petit village comme Saint-Sorlin-d’Arves.

Suite au prochain épisode…

Notes

[1] GROS, Louis (Chanoine), La Maurienne de 1815 à 1860, Chambéry, 1968, pp.131-132.

[2] À noter que la naissance de Jean François survient entre deux enfants morts-nés, nés et décédés le premier le 10 mars 1830 et le second le 24 août 1834.

[3] La liste de passagers mentionne 187 adultes, 23 enfants et 5 nourrissons.

[4] HOUDAILLE, Jacques, « Les Français à la Nouvelle-Orléans (1850-1860) », Population, vol.51, n°6, pp. 1245-1250. Disponible en ligne via http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1996_num_51_6_18508.

[5] Bien que la Savoie soit de nouveau et définitivement rattachée à la France en 1860, l’étude ne concerne donc pas les populations issues des Etats sardes et n’inclut évidemment pas les éventuels migrants qui ont transité par la Nouvelle-Orléans entre 1850 et 1860.

[6] Le recensement fédéral de la population des Etats-Unis de 1860, comme ceux de 1870, 1880, 1900, 1910, 1920, 1930 et 1940 sont disponibles en ligne sur le site Ancestry.fr (en accès payant) et sur le site archives.org (en libre accès).

[7] Sorte de service postal, le Pony Express est un service qui désigne l’acheminement du courrier par des cavaliers qui se relayent tout au long du voyage, à différentes stations. Le premier trajet d’est en ouest a été effectué en 10 jours seulement

[8] Jacques Balmain est visiblement absent : il y a toutefois de fortes chances pour qu’il habite en Californie.

[9] 8 dollars en 1860 correspond à environ 225 dollars actuels, d’après un outil de calcul basé sur une inflation annuelle moyenne d’environ 2% aux Etats-Unis entre 1860 et 2016. Ces données sont évidemment indiquées ici à titre d’ordre d’idée. Source : http://www.in2013dollars.com/1860-dollars-in-2016?amount=8.

[10] Ces données sont toutefois à prendre avec précaution car elles reposent certainement sur du déclaratif.

[11] Les scans des lettres sont disponibles dans le roman que j’ai édité. Afin de ne pas alourdir inutilement cette série d’articles, je ne les joins pas ici. Pour la transcription, tout ce qui est entre crochets est un ajout de ma part. En général, Étienne n’accentue aucun mot, et emploie très peu de ponctuation, d’où des phrases des fois compliquées à lire. Mais à l’oral, la syntaxe des phrases est relativement saine !

[12] Marie Brunet (1787-1864), grande tante d’Étienne, décède le 9 août 1864 à Saint-Sorlin-d’Arves : peut-être que les nouvelles qu’elle avait envoyées n’étaient pas très bonnes, d’où le retour de Jacques en Maurienne ? Quoiqu’il en soit, Jacques, s’il est bien revenu en 1864, est sans doute arrivé trop tard.

Alors que je viens de publier mon premier roman, je veux vous proposer de découvrir tout le travail de recherches que j’ai effectué en amont. Au départ, c’était une étude historique que je voulais proposer et au lieu qu’elle dorme au fond de mes dossiers, pourquoi ne pas la partager gratuitement ici sur mon blog. J’espère par ces publications, apporter à la fois un complément de lecture aux personnes ayant déjà acheté mon livre, et en même temps donner envie aux autres de le lire (possibilité de le commander – 15€ + frais d’envoi éventuels (4€) en m’envoyant un message ici). Vous découvrirez dans les publications qui suivront toute la vie d’Étienne, avec une transcription de toutes les lettres qui ont constituées la matière première de mon roman. Bonne lecture !

CHAPITRE I – AUX ORIGINES

1

Saint-Sorlin-d’Arves, 14 janvier 1834, onze heures du soir, un cri de vie vient perturber le calme d’une longue nuit d’hiver. Perché à plus de 1500 mètres d’altitude, le hameau du Pré accueille une nouvelle âme, celle d’Étienne Brunet. À l’image de la racine étymologique de son prénom, il est le premier à couronner [1] l’union de ses parents, François et Catherine Milliex, mariés un an et demi plus tôt, le 4 juillet 1832.

Dès le lendemain, Étienne reçoit le baptême du recteur de la paroisse, Henri Albert, à l’église Saint-Saturnin du village, emmené par son parrain, le frère de son grand-père paternel [2] dont il porte le prénom et sa marraine Geneviève Milliex, une de ses tantes maternelles.

L’arrière-grand-père d’Étienne, Barthélémy Brunet, 78 ans, est toujours en vie et reste le témoin privilégié de l’éclosion de cette nouvelle génération. Anne-Marie Milliex, 68 ans, grand-mère maternelle d’Étienne est également en vie. Les prières des familles Brunet, Milliex, Bernard, Charpin, Didier et Arnaud se succèdent pour souhaiter à ce petit être une vie de rêve.

Dans les années 1830, Saint-Sorlin-d’Arves abrite un peu plus de 900 âmes, réparties sur pas moins de 12 hameaux. Très étendu, le village fait partie du canton de Saint-Jean-de-Maurienne et, bien sûr, de la vallée de l’Arvan qui donne accès à différents cols comme celui de la Croix-de-Fer ou celui des Prés-Nouveaux, axes de communication essentiels vers l’Oisans et le Dauphiné notamment. La commune est surplombée par le massif des Arves, et ses aiguilles, qui sépare naturellement les départements de la Savoie et des Hautes-Alpes actuelles.

Les aiguilles d’Arves, en août 2014. Photo : G.Chaix

 

Étienne ne naît d’ailleurs pas français, mais sarde. La Maurienne, comme la Savoie, devient définitivement française à partir de 1860. Cela étant, le français est largement répandu y compris dans des contrées reculées comme dans les Arves. En effet, depuis le XVIe siècle et jusqu’au lendemain de la Révolution française avec le premier rattachement de la Savoie à la France – on parle alors de département du Mont-Blanc – les Mauriennais sont les témoins des tribulations entre la France et la Maison de Savoie. Ils n’ont par ailleurs pas attendus les rebondissements de l’histoire pour établir des liens et des migrations avec leurs voisins français, en témoignent, entre autres, les travaux de l’archiviste et historien Gabriel Pérouse (1874-1928) [3].

Depuis des siècles, les habitants de Saint-Sorlin mènent une vie agro-pastorale quasi-autarcique. Tout le monde cultive la terre. Les familles se font et se défont, les patrimoines se transmettent de génération en génération suivant le jeu des alliances.

Depuis au moins le premier tiers du XVIIIe siècle, la famille Brunet vit au Pré, si l’on se réfère notamment à la mappe sarde [4]. La maison appartenait alors à Philibert Brunet, né en 1652, fils de Barthélémy. En tant qu’aîné de sa fratrie, et bien sûr en tant que potentiel héritier, le destin d’Étienne semble joué d’avance.

2

Deux ans après la naissance d’Étienne, en 1836, vient celle de sa première sœur, Marie Françoise. En 1841, Clémentine Anne Genevivève – mon arrière-arrière-grand-mère agrandit à son tour la fratrie, suivie de Jeanne Marie Sylvie Philomène en 1844 et du cadet Jacques Joseph en 1846. Tous grandissent au Pré.

Barthélémy, l’arrière-grand-père Brunet, y décède le 1er octobre 1837. Avec sa femme, Catherine Charpin (1751-1822), ils eurent 7 enfants, dont Joseph, né en 1775, l’aîné des garçons, le grand-père d’Étienne. Ce dernier passe sa vie dans la maison familiale, accompagné de sa femme Catherine Bernard (1781-1812) avec laquelle il se marie le 6 juillet 1805. Ensemble, ils n’ont que deux enfants : Sorlin, en 1807 et François, en 1809, père d’Étienne. Catherine décède trois ans après la naissance de son dernier fils, en 1812. Joseph reste veuf jusqu’à sa mort, en octobre 1845, comme en témoigne son acte de décès, sur lequel il est uniquement déclaré veuf en premières noces.

En 1847, désormais âgé de 13 ans, Étienne assiste déjà certainement son père aux travaux agricoles. Saint-Sorlin dispose d’une école depuis le début du XVIIIe siècle : il est fort probable qu’Étienne la fréquente une partie de l’année. Le 9 juin 1847, les registres paroissiaux de Saint-Sorlin-d’Arves relatent par ailleurs la visite pastorale de l’évêque de Maurienne, François Marie Vibert.

« […] des jeunes gens  qui devaient nous être présentés pour la Confirmation. Leur instruction nous a paru entièrement satisfaisante et nous a prouvé les efforts du pasteur. […] Nous avons donné le sacrement de la Confirmation à soixante et quinze jeunes gens des deux sexes. » [5]

Étienne fait sans doute partie de ces 75 enfants et le commentaire du recteur Bouttaz indique que l’instruction est dispensée par le prêtre de la commune, comme depuis 1723 et l’ouverture de la première école à Saint-Sorlin. En outre, d’après le chanoine Louis Gros, 70% des Mauriennais nés entre 1830 et 1840 savent lire et écrire. [6]

Étienne reçoit donc une instruction religieuse, sait sûrement lire et écrire, travaille aux champs pour aider ses parents et subvenir aux besoins de la famille. Comment vit-il son adolescence ? Quels rêves lui est-il permis de formuler, même secrètement ? Il se voit sûrement grandir dans les yeux de ses parents, lui dont l’avenir paraît tellement évident.

3

Le matin du 17 septembre 1854 marque à jamais le village de Saint-Sorlin-d’Arves, après une nuit de terreur et de flammes. Un incendie a ravagé, en quelques dizaines de minutes, près de l’intégralité du hameau du Pré. Jamais ou presque Saint-Sorlin n’a connu pareil drame. Par le passé, deux incendies avaient déjà frappé les esprits, un en août 1789, détruisant une quinzaine de maisons dans le hameau de la Ville, l’autre en juin 1840 touchant quelques maisons du hameau de Cluny ; mais ces deux événements tragiques étaient imputables à la foudre, au « feu du Ciel » d’après les mots du curé Dupré relatant la tragédie en juin 1840 dans les registres paroissiaux de la commune. [7]

Mais jamais, depuis la Révolution française, un incendie n’a fait autant de dégâts que celui s’étant produit dans la nuit du 16 au 17 septembre 1854. La presse locale s’empresse de couvrir l’événement.

« Voici les renseignements qui nous sont parvenus sur l’incendie de St-Sorlin-d’Arves dont nous avons parlé dans notre dernier numéro :

La cause du sinistre est encore inconnue, mais il paraît à peu près certain que la malveillance y est étrangère. Les progrès du feu ont été tellement rapides qu’en moins de vingt minutes, l’incendie, qui n’avait éclaté que dans une seule maison se propageant de proche en proche, en avait envahi plus de trente, non compris les greniers au nombre de quinze à vingt. Tout a réduit en cendres. Les pertes sont estimées à 180 mille francs. Les traits de dévouement n’ont pas manqué dans cette douloureuse circonstance. On nous cite, comme s’étant particulièrement distingué, M. J.-B. Alex, vice-syndic de la commune de St-Jean-d’Arves »

Le Constitutionnel Savoisien, 23/09/1854.

 

« Le 16 du courant, à huit heures du soir, le feu se déclara tout à coup dans une des maisons de Saint-Sorlin-d’Arves. Sous l’influence du vent qui soufflait alors vivement, les flammes se communiquèrent avec une rapidité effrayante aux autres maisons du village, de telle sorte qu’en moins d’un quart d’heure elles avaient déjà envahi trente-trois maisons et vingt greniers, qu’elles ont réduits totalement en cendres.

La perte est évaluée à plus de 150 mille francs, et les malheureux habitants de ce hameau n’ayant rien pu sauver sont réduits à la plus profonde misère.

Au milieu de ce désastre, plusieurs traits de courage et de dévouement ont eu lieu. Nous croyons surtout devoir signaler la conduite du vice-syndic d’une commune voisine, celle de Saint-Jean-d’Arves, M. Jean-Baptiste Alex. Accoure des premiers à la tête d’une partie des habitants de sa commune, M. Alex entend dire que, dans la maison du syndic occupée par les flammes, deux petits enfants étaient enfermés. Aussitôt M. Alex saisit une échelle, et, l’appliquant aux fenêtres embrasées, il pénètre dans l’intérieur de la chambre. Heureusement, les enfants en avaient déjà été enlevés ; néanmoins, M. Alex fut assez heureux pour profiter de sa position et il sauva, de concert avec trois de ses administrés, plusieurs titres et papiers importants, et plusieurs meubles. »

Le Courrier des Alpes, 22/09/1854. [8]

Les mots sont évocateurs, plus encore peut-être de la plume du recteur Alexis Bouttaz, qui écrit :

« En 1854 le 16 du mois de septembre, un violent incendie a éclaté au village du Pré, vers 9 heures du soir. En moins d’une heure, tout le village a été la proie des flammes, le seul grenier à côté de la grange n’a pas été atteint par le fléau destructeur : l’année 1854 avait été très précoce puisque toute la récolte était déjà retirée. Tout a péri. Que le bon Dieu nous préserve d’un malheur semblable ! Hommage soit rendu au plus grand nombre de paroissiens du diocèse qui, par le moyen de quêtes, sont venus au secours des victimes de l’incendie ; malgré cela, il y a beaucoup de souffrance et quelle peine pour rebâtir surtout dans cette paroisse où il n’y a point de forêt  communale. Pour mémoire. A. Bouttaz, recteur. » [9]

Rien. Il n’y a plus rien, ou presque. L’habitant ancien a certainement contribué à la propagation de l’incendie, avec des toits couverts de chaume notamment (en paille de seigle à Saint-Sorlin) [10]. Les greniers, construits à l’origine à l’écart des maisons pour justement prévenir les risques d’incendie en y conservant les affaires de valeur et autres costumes traditionnels, même les greniers, ont été ravagés par les flammes.

Étienne, comme le reste de sa famille, assiste-t-il, impuissant, à la terrible scène [11] ? Une étincelle aura suffi à faire basculer le destin de familles entières. Les cris des enfants, les hurlements des mères inquiètes et les pleurs discrets des pères de famille laissent progressivement place au silence plombant de la nuit profonde. Au petit matin, les habitants du hameau, comme ceux du reste du village, restent là, impassibles, hagards, regardent dans le vide et prient discrètement pour rendre grâce à Dieu que le feu n’ait pas eu raison de qui que ce soit. Il s’en est fallu pourtant de peu.

« Monsieur le Rédacteur,

J’ai vu avec plaisir, il y a quelques jours, dans votre journal l’éloge qui était adressé aux habitants des communes de Saint-Jean et Saint-Sorlin-d’Arves, en Maurienne, pour le courage et le dévouement dont ils ont fait preuve dans l’incendie qui a réduit en cendres un village entier de la commune de Saint-Sorlin ; mais, au nombre des habitants de ces montagnes qui se sont le plus distingués en cette circonstance, il en est un qui a mérité par sa conduite une reconnaissance plus spéciale. M. Joseph Chaix, jeune homme d’une vingtaine d’année environ, de la commune de Saint-Sorlin, a exposé sans hésiter sa vie pour sauver un vieillard.

La maison de Jean-Michel Didier était en feu et tellement environnée par les flammes, qu’il ne lui était plus possible de trouver une issue pour en sortir. Joseph Chaix, voyant un de ses concitoyens sur le point de périr, ne consulta que son courage. Se précipiter à travers les flammes, charger ce vieillard sur ses épaules et le sortir sain et sauf du foyer de l’incendie, fut l’affaire d’un instant. Le danger auquel il s’est exposé était tel, qu’il faillit être victime de son dévouement ; car il fut, malgré sa promptitude, atteint en partie par les flammes.

Veuillez, je vous prie, faire place dans les colonnes de votre estimable journal à ces quelques lignes que je vous adresse, pour ne point laisser dans l’oubli une action qui mérite tant d’écoles.

Falcoz. »

La Gazette de Savoie, 05/10/1854

Jean-Michel Didier est né en 1798, il a 56 ans en 1854 et habite la première maison du hameau du Pré d’après le recensement de 1876 à Saint-Sorlin-d’Arves [12]. Il habite avec sa femme, Françoise Milliex qui n’est autre que la tante maternelle d’Étienne. Ils n’ont pas d’enfants.

Charles Joseph Chaix habite également au Pré en 1876. Neuvième d’une fratrie de quinze enfants [13], ses parents – Sorlin Chaix (1788-1859) et Marie Falcoz (1797-1865) – habitent plus haut dans le village, au hameau de Pierre-Aigüe. Né en 1828, Joseph est maréchal-ferrant, habite avec son épouse Sophie Falcoz et leurs enfants, puis également avec son frère Auguste, sa belle-sœur Marie-Françoise Arnaud et leurs enfants. Étienne et sa famille habitent tout près, à quatre maisons seulement de la famille Chaix-Falcoz.

Plan de Saint-Sorlin-d’Arves, par Roger et Renée Flamand. Source : A.S.P.E.C.T.S., À la découverte de Saint-Sorlin-d’Arves, d’hier à aujourd’hui, Saint-Jean-de-Maurienne, Imprimerie Salomon, 1989, p.32.

 

Tout ce monde est sain et sauf. Les bêtes également, revenu essentiel des familles, semblent avoir été sauvées. Tant bien que mal, la vie continue et le jour qui se lève sur les cendres du Pré en ce 17 septembre en est la preuve irréfutable.

4

Les jours qui suivent le drame défilent à toute vitesse, comme s’il fallait tout de suite oublier, passer à autre chose. Comment pourrait-il en être autrement ? Reconstruire une habitation mais pas seulement, affronter désormais l’hiver arrivant sans les réserves stockées dans les granges des maisons dévastées. Le foin, les céréales – l’orge et le seigle notamment -, le chanvre, la paille… Les habitants du Pré doivent désormais compter sur la solidarité de leurs voisins [14]. Dès le 23 septembre, une quête est suggérée par l’intendant de la province de Maurienne pour venir en aide aux habitants sinistrés du Pré.

En plus de la maison familiale, c’est certainement l’avenir d’Étienne en Maurienne qui est parti en cendres cette nuit de septembre. En effet, comment imaginer alors construire sa vie sur un tel drame, alors même que sa famille n’a plus rien ?

Depuis 1848 et la découverte de l’or à Sutter Mill’s en Californie, la conquête de l’ouest américain donne pour la première fois du sens aux termes de « rêve américain ». Dès lors,  le monde entier se rue dans ces contrées qui, paraît-il, vont jusqu’à rendre les gens fous [15]. Étienne rêve-t-il d’or ? Sans doute voit-il là la chance d’offrir, à sa famille et d’abord à lui, un nouveau départ. Ne plus subir en définitive, prendre en main sa destinée.

En Maurienne, l’émigration n’est pas un phénomène nouveau. Depuis des siècles déjà, elle concerne une bonne partie de la population bien qu’elle soit saisonnière et majoritairement dirigée vers la France, avec une porte d’entrée dans le Dauphiné toute proche des Arves. Cela étant, l’émigration en dehors du Vieux continent devient fréquente qu’à partir du XIXe siècle et concerne principalement les Amériques du Sud et le Canada. [16]

À suivre, le chapitre 2 – Le départ.

Notes

[1] Le prénom Étienne est un dérivé du prénom Stéphane, du grec Stephanos qui signifie « couronné ».

[2] Étienne Brunet (1784-1843), frère de Joseph (1775-1845), grand-père du petit Étienne.

[3] Se référer notamment à son excellente « Histoire d’une population aux XVIIe et XVIIIe siècles. Étude statistique et démographique sur Saint-Sorlin-d’Arves commune des hautes vallées alpestres de Savoie » dans Mémoires de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, tome LXVII, 1930, pp.17-65.

À propos de l’émigration des populations mauriennaises, lire aussi ONDE, Henri, « Les mouvements de la population en Maurienne et en Tarentaise » dans La Revue de géographie alpine, tome 30 n°2, 1942, pp.365-411.

[4] La copie de la mappe sarde ; qui date de 1733 à Saint-Sorlin-d’Arves, est consultable en ligne via le site Internet des AD ou bien en salle de lecture, où se trouvent également les tabelles générales contenant les propriétaires de chaque parcelle mentionnée sur la mappe. A ce sujet, consulter l’excellent travail de DEQUIER, Daniel, FLORET, Marie-Claire, GARBOLINO, Jean, La Maurienne en 1730, Saint-Jean-de-Maurienne, Editions Roux, 2004, 253p.

[5] D’après la transcription faite par le recteur Alexis Bouttaz dans les registres paroissiaux de la commune, disponible en ligne sur le site des Archives Départementales de la Savoie, http://www.archinoe.fr/ark/77293/2d15dba406bd3d94#, vue 314-315/381.

[6] GROS, Louis (Chanoine), La Maurienne de 1815 à 1860, Chambéry, Imprimeries réunies de Chambéry, 1968, p.49.

[7] D’après la transcription faite par le curé, disponible en ligne sur le site des Archives Départementales de la Savoie, http://www.archinoe.fr/ark/77293/2d15dba406bd3d94#, vue 313/381.

[8] Les articles sont consultables en ligne sur le site http://www.memoireetactualite.org/fr/presse.php.

Note : Selon les périodes, Le Constitutionnel Savoisien se nomme Le Patriote Savoisien.

[9] D’après la transcription faite par le recteur Alexis Bouttaz, disponible en ligne sur le site des Archives Départementales de la Savoie, http://www.archinoe.fr/ark/77293/2d15dba406bd3d94#, vue 315/381.

[10] Se référer à la présentation de l’habitat ancien par Renée Flamand dans A la découverte de Saint-Sorlin-d’Arves, d’hier à aujourd’hui, publiée à l’initiative de l’Association Sauvegarde du Patrimoine Et de la Culture Traditionnelle de Saint-Sorlin (ASPECTS).

[11] En effet, difficile de savoir si Etienne est bien présent à Saint-Sorlin à cette date. S’il est permis d’imaginer que oui, il faut savoir qu’à cette date, la levée militaire concerne les jeunes hommes de 18 ans, sur la base d’un service de huit années et surtout du volontariat. La levée est par ailleurs systématique lorsque les effectifs militaires viennent à manquer, par exemple en cas de guerre. Or, s’il avait été mobilisé ou volontaire, Etienne l’aurait été au plus tôt en 1852, pour huit ans ; en 1860, Etienne n’est déjà plus en Maurienne. L’hypothèse selon laquelle il serait déserteur est très peu probable.

[12] Recensement de 1876 disponible en ligne sur le site des Archives Départementales de la Savoie, http://www.archinoe.fr/ark/77293/5cf650deec5a8372#, vue 7/16.

[13] Avant lui dans la fratrie, deux bébés portaient les mêmes prénoms que lui : le premier Charles Joseph Théodore, né le 5 février 1820 et décédé un mois plus tard le 6 mars ; le deuxième, Charles Joseph, né le 20 avril 1823 et décédé le 4 mai suivant.

[14] Dès le 23 septembre, une quête est suggérée par l’intendant de la province de Maurienne pour assister les sinistrés, lequel intendant se rend sur place immédiatement. D’après La Gazette de Savoie datée du 23/09/1854, il part de Saint-Jean-de-Maurienne dès 5 heures du matin à pied, sachant que « le trajet est de quatre heures et demie, par une montrée très rapide. »

[15] Lire à ce propos l’excellente biographie du général Sutter : CENDRARS, Blaise, L’or – La merveilleuse histoire du général Johann August Suter, Denoël, 1960, 183p.

[16] Se référer à l’ouvrage de DEQUIER, Daniel, L’émigration mauriennaise aux XIXe et XXe siècles, 2002, 230p.

Et si nous revenions à la généalogie ? Aujourd’hui, je vous propose de partir dans le Lyon du XIXe siècle et d’étudier la trajectoire familiale des Poizat, en particulier par le prisme des recensements annuels de population, source précieuse vous allez comprendre pourquoi.

Gabriel Poizat (1) naît dans la capitale des Gaules le 18 septembre 1794. Quatrième d’une fratrie de cinq enfants, il est en effet la première génération à y naître, alors que ses parents, Jean Etienne et Marguerite Champagnon, étaient originaires des environs de Lyon, respectivement de Chaponost et de Charnay. Le 15 octobre 1814, Gabriel et Marie Pierrette Guilloud se marient. Lui est fabricant d’étoffes de soie, et les deux habitent la rue Confort, dans le 2e arrondissement de Lyon.

La première trace du couple, je la retrouve au recensement annuel de 1815, au 8 de la rue Bourchanin, toujours dans le 2e arrondissement. Locataires au 2e étage, ils sont parents depuis le 10 août de la même année et la naissance de leur premier enfant, Jean Claude, mon ancêtre. Le recensement a donc été fait après août 1815. Pas de changement en 1816. En 1817, un ouvrier habite avec la petite famille et une observation : Unis (PAS) (2).

En 1818, si la situation reste inchangée aux yeux du recensement annuel, il se trouve en réalité que le couple a eu un deuxième enfant, Claude François, né le 30 janvier et mort seulement quelques heures plus tard, le 1er février.

En 1819, la famille est introuvable au 8 de la rue Bourchanin et pour cause, elle a déménagé au 9 de la rue des prêtres, dans le 5e arrondissement de Lyon, au premier étage. Rien ne change jusqu’en 1821 où, de nouveau, un ouvrier rejoint le ménage.

Intérieur d’un atelier de canut, Musées Gadagne (c) : http://www.gadagne.musees.lyon.fr/index.php/histoire_fr/Histoire/Musee-d-histoire-de-Lyon. Mes ancêtres rhôdaniens ont migré à Lyon au moment de l’industrialisation. Canuts, ils l’ont été sur plusieurs générations.

Un mariage révélateur

Le 9 mai 1822, Gabriel est témoin au mariage de Jean Claude Page et Anne Marie Guilloud, où il est décrit comme étant « neveu de l’épouse », même si l’acte ne précise qu’il s’agit du neveu par alliance puisqu’Anne Marie Guilloud n’est autre que la tante maternelle de sa femme. C’est justement grâce à cet acte que nous avons su que le couple Poizat avait déménagé rue des prêtres. Mais un détail attire mon attention : alors que sur l’acte de mariage, le conjoint Page est déclaré « fabricant d’étoffes » rue Bourchanin, sur le recensement annuel, au numéro 6, il se déclare « écrivain ». Dans le même temps, au 3 de la place de l’hôpital, le même Jean Claude Page tient une boutique en tant que « revendeur d’eau de vie ». Le recensement précise : « Boutique adossée à l’église de l’hôpital, habite rue Bourchanin n°6 ». Et cette situation, nous la retrouvons à l’identique dans les recensements de 1820 et 1821. En 1819, la boutique est occupée par un Pelletier, « revendeur d’eau de vie », et qui habite, lui, rue Confort. La même année, Page habite déjà au 6 de la rue Bourchanin et se dit « écrivain ». Ainsi, nous savons grâce aux recensements annuels quand Page reprend l’affaire de Pelletier, à quelques mois près.

Ouvrier de la soie… Dans l’attente de mieux ?

Mais revenons à Gabriel. Jusqu’en 1828, il occupe toujours le premier étage du 9 de la rue des prêtres avec sa femme, son fils et un ouvrier. En 1829, c’est désormais « Dlle Cochard dite Marianne », journalière, qui y  habite . Où sont donc passés Gabriel et sa petite famille ? Jetons un œil à la rue Bourchanin. Bonne pioche ! La famille réside désormais au 3e étage du 6 de la rue Bourchanin… Un étage au-dessus de l’écrivain Page !

Toujours ouvriers de la soie, leur situation ne va cependant pas tarder à changer puisqu’en 1830, Gabriel est désormais « revendeur vinaigrier » avec « échoppe sur place de l’hôpital ». Jean Claude Page vit toujours au-dessous en tant qu’écrivain. On imagine donc que l’oncle par alliance a proposé à Gabriel de reprendre son affaire, l’heure de la retraite approchant à grands pas.

Jusqu’en 1833, rien ne change si ce n’est l’absence de Page au 6 de la rue Bourchanin. En 1834, veuf de sa femme, Page vit de nouveau au 6, mais au 3e étage (sans doute le logement qu’occupaient Gabriel et sa famille jusqu’à présent) alors que Gabriel, lui, est maintenant au 1er étage, toujours « revendeur d’eau de vie ». Dans ce recensement, Page est alors désigné comme étant « petit rentier » et « vieillard octogénaire ». C’est la dernière trace de lui puisqu’il décède le 31 mai 1835 : le recensement annuel a donc été établi après le mois de mai dans la mesure où Page n’apparaît plus. Aucun changement en 1836, ni en 1837 quoique c’est la dernière année où Jean Claude Poizat vit avec ses parents, puisqu’il se marie le 2 juin 1838 avec Jeanne Antoinette Dubessy.

Voici la rue du Bourchanin, aujourd’hui Bellecordière, où a habité pendant des décennies mes ancêtres Poizat avec l’hôtel Dieu à proximité. L’échoppe se trouvait au bout de la rue, “adossée à l’église”. Source : Google Street View.

La lumière amène l’ombre !

Jusqu’ici, tout était relativement limpide. Après leur mariage, en juillet 1839, Jean Claude et Jeanne Antoinette donnent naissance à leur premier enfant, une fille, Jacqueline Gabrielle. Jean Claude est ouvrier bijoutier et vit au 8 de la rue Bourchanin. En 1842, alors que le recensement annuel ne précise pas les membres du ménage, le couple et un enfant habite au 8. Or, le 22 septembre 1841, naît Antoine Marie Poizat, leur deuxième enfant. Ainsi, en dépit du fait que je ne retrouve pas le décès de Jacqueline Gabrielle dans les registres de Lyon, il y a de fortes chances pour qu’elle soit décédée en bas âge. À partir de 1844, 4 individus habitent désormais l’appartement, avec l’arrivée au monde de mon ancêtre Joseph Claude, le 4 mai.

En 1846, chose étrange, la famille n’est plus visible rue Bourchanin dans le recensement annuel alors que nous la retrouvons dans le recensement quinquennal (consultable via les Archives départementales), qui précise, lui, la composition du ménage. Ainsi, Jean Claude Poizat vit au 6 (et non plus au 8) avec… son fils Joseph Claude uniquement. Où sont passés sa femme et son premier fils ? Le 9 mars 1848, je sais que mon ancêtre Jean Claude décède. Il n’est alors âgé que de 32 ans. Par acquis de conscience, je vérifie en 1851, année du recensement quinquennal, qui vit à la rue du Bourchanin. Jusque-là, Gabriel et sa femme y vivaient sans interruption.  Eh bien, le flair était bon : le couple est toujours présent, lui toujours « marchand de vin », avec échoppe pas très loin. En plus de sa femme, je retrouve… « Claudius » Poizat, « orphelin ». S’agirait-il de mon ancêtre Joseph Claude ? Peu de place pour le doute. Mais alors, que sont devenus sa mère et son frère ?

Après la mort de son père, Joseph Claude, appelé ici “Claudius” vit chez ses grands-parents paternels. Il est dit “orphelin”. Source : AD Lyon.

Faire des détours pour arriver au but

Jusqu’ici, le mystère planait. M’a alors pris l’idée de jeter un œil aux Poizat qui se marient à Lyon. Grâce à la possibilité d’une recherche nominative sur le site des archives municipales de Lyon, je tombe sur celui d’Antoine Marie, le fils aîné, en 1864. Et quelle ne fut pas ma surprise. Je n’avais jamais trouvé son acte de naissance. Pour cause, il n’est pas né à Lyon mais à Oullins. Ni une ni deux, je m’empresse d’aller consulter son acte de naissance et j’apprends qu’il naît en fait chez ses grands-parents maternels, qui habitent la petite commune. Premier réflexe : consulter le recensement de 1846. Peut-être y trouverais-je des indices. Nouvelle bonne pioche : Antoine, « petit-fils », vit bien avec ses grands-parents. Alors, l’énigme n’est que partiellement résolue : où est la mère ?

En 1851, je n’ai toujours pas trouvé trace d’Antoine à Oullins. Ni de Jeanne Antoinette Dubessy. Cette dernière meurt peu de temps après le 27 juin 1852… à Mascara, en Algérie. Vu que mon ancêtre Joseph Claude est dit « orphelin », il est très peu probable que la mère soit partie avec ses enfants. Comme au moment du décès de son mari, elle a aussi 32 ans au moment où elle rend l’âme, « au domicile de M. Philippi, restaurateur ». Elle est dit « épouse de Jean Claude Poizat », alors qu’elle est veuve… Qu’a-t-elle été faire en Algérie ?

Comment Jeanne Antoinette Dubessy s’est-elle retrouvée en Algérie ?

Ironie du sort…

Ou pas, me direz-vous. Quelques années plus tard, en 1861, à 17 ans à peine, Joseph Claude s’engage dans l’armée et se retrouve dans les 2e Zouaves. Devinez où il est alors domicilié… Mascara en effet. Ville où il se marie 7 ans plus tard, en 1868. Est-il parti sur les traces de sa mère ? Pour l’heure, je ne le sais toujours pas. Sur le reste de la descendance, ceci est une autre histoire.

Trouvaille de dernière minute

En rédigeant ce billet (étalé sur deux semaines), l’idée m’a pris d’aller fouiner sur Filae un éventuel décès de la lignée Dubessy. Le père de Jeanne Antoinette est en effet voyageur de commerce et a apparemment beaucoup bougé. Je n’ai jamais réussi à trouver son acte de décès. Eh bien, le 1er avril 1858, à 9h40, mon ancêtre est mort à Livourne, en Toscane. De quoi donner quelques idées de roman…

Partir de Lyon et se retrouver à Livourne…. Source : https://www.getyourguide.fr/livourne-l427/

Notes & Sources

(1) : Retrouvez mon #RDVAncestral consacré à Gabriel ici. Depuis sa rédaction, je sais que Gabriel est mort le 31 décembre 1871 à Lyon.

(2) Dans de nombreux recensements annuels, est indiqué le type de métier utilisé par les ouvriers de la soie. Ici, mon ancêtre fabriquait du tissu uni. Tulle, crêpe, ou encre gaze, pas moins de 11 types de métier sont renseignés.

Sources consultées : AM de Lyon ; AD du Rhône ; ANOM.

Histoire soufflée à l’écoute du fameux Lac des Cygnes de Tchaikovsky. Que je propose d’écouter en même temps que la lecture de ce #RDVAncestral particulier.

Été 1852. Hameau du Pré. Saint-Sorlin-d’Arves.

« Puisque je te dis que je l’ai vu en songe. Il était là, devant moi, comme tu te tiens. Il m’a prévenu du foin dans la grange et il m’a asséné : « l’incendie guette, les flammes n’ont besoin que d’une allumette ! »

– François, notre grand-père est mort depuis 15 ans. 15 foutues années ! La semaine dernière, c’était notre mère que tu as vu en rêve, la semaine d’avant : l’autre grand-père, la semaine encore avant : ton beau-père pris dans une avalanche. Demain, ce sera quoi ? Les enfants ressuscités des Prés-Plans ? (1)

François baisse les yeux en écoutant, gêné, les remarques de son frère Sorlin. Est-il saisi de folie ?

« Mais… »

Puis se tait soudainement, claque ensuite la porte dans un soupir et des murmures agacés, essuyant les rires de son frère tentant de prendre à témoin Étienne, lequel déplore de voir son père peu pris au sérieux.

François vient de fêter son 43e anniversaire. Il s’éloigne dans une nuit de juillet qui tarde à tomber. Déambule jusqu’à l’église de Saint-Sorlin-d’Arves, hésite à pénétrer dans le cimetière. Qu’irait-il y faire à cette heure ? Voici le recteur de la paroisse, Alexis Bouttaz, venant à sa rencontre.

« Tout va bien, mon cher François ? Quel que soit le tracas, n’oublie jamais que Dieu serre la gorge mais n’étrangle jamais… »

D’abord surpris par le ton amical, presque familier, du curé, François hésite à répondre. Raconter ses séries de rêves apporterait quoi de plus que d’être pris au mieux pour un illuminé, au pire pour la victime du Malin.

« Tu peux me parler. »

François se met alors à débiter. Comme un catalogue de rêves. Tous les morts de sa famille y passent, mais pas seulement.

« Je crains, mon père, que mes fils ne partent pour des contrées lointaines. Avez-vous entendu parler de l’or américain ? Un vieillard m’a parlé de fièvre en souriant dans une de mes rêveries. Comment puis-je donner du crédit à ces terribles projections ?

– Ne retiens rien ni personne. Ce que Dieu donne, Il le reprend. Prie et sois confiant. Ta maison brûle ? Reconstruis-la. Ton fils s’en va ? Souhaite-lui le meilleur. Ton grand-père te parle en songe ? Alors écoute-le et prie pour le repos de son âme dès le réveil. »

Les deux hommes ont pris le temps de s’asseoir, la scène est telle que François se demande en fin de compte si tout ceci n’est pas de nouveau un rêve. Tout est toujours très réaliste. Jusqu’au moindre détail. François se lève brusquement.

« Enfin, mon père, arrêtez de me parler de la sorte ! Vous semblez cautionner tout ça. Rêver des morts n’est pas possible. N’est pas imaginable. N’est pas sensé ! Combien de morts dois-je voir en songe avant d’être victime de possession, hein ? Combien ? Mais répondez-moi bon sang ! »

Silence.

« Je perds la tête, ma parole… »

François se tient alors le front avec l’une de ses mains, alors même qu’il transpire à grosses gouttes. L’alcool ? Pas une goutte aujourd’hui. Les respirations sont rapides, le curé est stoïque, fixant le pauvre homme en sueur d’un regard apaisé. De plus en plus inquiet, François vacille, l’angoisse ayant raison de son équilibre, manque de tomber en se retenant à l’un des murets entourant l’église et son cimetière.

« Père ! Que vous arrive-t-il enfin ? Vous criez depuis tout à l’heure alors même que vous semblez dormir profondément !

– Mon petit Étienne (2), que Dieu te préserve des tracas du temps qui passe. Tout va bien, rendors-toi, juste quelques mauvais rêves. »

Notes

(1) La chapelle Notre-Dame-de-la-Vie, située en marge du village, au hameau des Prés-Plans, est réputée, aujourd’hui encore , guérir et faire des miracles. Bâtie au XVIIe siècle, restaurée en 1855, dans le temps, ce sont les enfants morts nés que les familles s’empressent de ramener : la légende dit que l’enfant en question ressuscite le temps de son baptême.

(2) Il s’agit bien d’Étienne Brunet, parti en Californie en 1858.

17 janvier 2017. Cette fois, c’est la bonne, c’est le jour J. Mon premier roman est enfin disponible !

“Je suis pour la vie”, mon premier roman, est disponible à la vente au tarif de 15 euros (hors frais de port en cas d’envoi postal). Janvier 2017, tous droits réservéss

L’émotion est particulière car c’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine, une espèce de course de fond qui nécessite patience et endurance. J’ai une pensée pour mon grand-père, à qui je dédie ce livre. Que j’aimerais le voir tenir entre les mains ce petit bouquin. Où qu’il soit, j’espère que la mise en lumière de l’histoire de ses grands oncles – dont il ne connaissait finalement pas grand chose en fait, fera écho au souvenir qu’il s’était fabriqué autour d’eux. Je veux remercier également toutes les personnes qui sont intervenues de près ou de loin dans le projet. En réalité, je n’ai pas l’impression d’une aventure qui se termine mais vraiment d’une qui commence. Et à vous, chers lecteurs, qui j’espère serez nombreux, un grand merci pour l’intérêt que vous portez à mon travail ! Mille mercis.

Afin de vous procurer l’ouvrage, donc, je vous propose deux solutions :

  • Soit vous habitez Saint-Jean-de-Maurienne et ses environs, auquel cas il suffit de m’envoyer un message privé ici ou via les réseaux sociaux afin de fixer une date et un lieu de rencontre. Pour rappel, le tarif du livre est de 15 euros.
  • Soit je vous l’envoie par La Poste, auquel cas je vous demande de m’adresser un règlement de 19€ (15€ + 4€ de frais d’envoi) par chèque de préférence, ou éventuellement par virement (plus de détails en message privé) avec vos nom, prénom et adresse postale.

N’hésitez pas, une fois le livre lu, à me faire part de vos impressions et puis tant qu’à faire, à en parler autour de vous, pourquoi pas à le suggérer à vos entourages… On appelle ça le bouche-à-oreille, non ?

A très bientôt !

Voici qu’arrive à grands pas la fin de l’année 2017. L’occasion de jeter un œil sur les 365 jours écoulés, tellement riches, et d’évoquer les projets en cours et à venir. En reprenant le bilan que j’avais écrit l’année dernière, pour 2016 donc, j’ai voulu dans un premier temps comparer ce que j’avais prévu et ce que j’ai finalement réalisé.

1) La parution d’un livre

Objectif atteint ! Ou presque, puisque l’ouvrage sortira courant janvier 2018 (vous pouvez encore le réserver en m’envoyant un message avec vos coordonnées). Je ne reviens pas dessus puisque j’en parle longuement ici et que j’aurai l’occasion d’en redire quelques mots dans les semaines à venir. Cette aventure s’est étalée sur plusieurs années avant d’atteindre son point d’orgue en 2017 où j’ai découvert le monde de l’édition, sur lequel je reviendrai prochainement dans un billet. En filigrane, ce projet est sans doute le plus abouti et le plus enrichissant que j’ai eu à accomplir généalogiquement parlant.

2) Enrichir mon blog (1) et ma généalogie

Il me semble que l’objectif est également atteint. Je voulais « proposer plus de contenu, de nouvelles rubriques, enrichir mon histoire familiale en faisant le tour des cousins de chaque branche pour mutualiser photos et papiers de famille » : les deux premiers points ont été réalisés notamment grâce aux #RDVAncestral et #AdopteUnAncêtre quoique pour cette dernière rubrique, je n’ai publié qu’un article. J’espère pouvoir l’alimenter dans l’année à venir. J’ai aussi évoqué de nouvelles branches de ma famille et mis en place une rubrique, “Une histoire, un livre”, que j’aurai, je l’espère, plaisir à enrichir en 2018. Pour le troisième point, je suis très content d’avoir pu rencontrer des cousin-e-s que je ne connaissais pas auparavant, d’avoir pu échanger autour d’une histoire familiale commune et de découvrir des albums et donc des photos que je ne connaissais pas. Évidemment, je n’ai pas fini de faire le tour et je continuerai sur ma lancée en 2018.

Exemple de découverte, avec la légende insérée dans l’article dédié : La photo la plus ancienne que je possède mettant en scène Olle et des membres de ma famille. D’une qualité exceptionnelle, j’aime le contraste entre les habits de ville (Jean François, le frère de Charles, avait été le premier à partir à Paris dans le dernier quart du XIXe siècle) et le toit de chaume en arrière-plan. 1906-07. Archives familiales, tous droits réservés.

3) Vivre mieux de mon activité

Fin 2016, je vous annonçais que je retrouvais la voie du salariat en intégrant la rédaction de l’hebdomadaire de ma vallée, La Maurienne. En avril, je rédigeais « Demain j’arrête » (2), pensant à terme ne pas pouvoir gérer les deux volets de ma vie professionnelle, très chronophages. Bon eh bien, 8 mois et quelques commandes plus tard, je ne renonce pas à mon activité d’autoentrepreneur et compte bien la développer autant que faire se peut ! Je crois que la vie parfois est semblable aux montagnes russes : des montées, des descentes, des frayeurs, de la joie… L’essentiel c’est de rester à bord et de vivre le moment présent.

Cap sur 2018

« Je suis pour la vie »

Je vais commencer l’année sur des chapeaux de roue avec la sortie de mon premier roman, sur le destin extraordinaire d’un de mes  grands oncles, Étienne Brunet, parti de ses Arves natales pour rejoindre la Californie dans la seconde moitié du XIXe siècle. Dans le courant de l’année, je souhaite participer à des salons du livre près de chez moi et profiter pour échanger autour de cette belle aventure qu’a été la rédaction de ce bouquin. Le titre que j’ai choisi pour ce livre, qui reprend les propres mots de mon grand oncle, résume à lui seul l’état d’esprit que je compte insuffler dans l’année à venir. Je pense en effet que 2018 sera une bonne rampe de lancement pour la rédaction d’un nouveau roman. #AlerteSpoil

L’écriture, encore et toujours

Je ne reviens pas sur le #RDVAncestral qui vole désormais de ses propres ailes, grâce notamment à la petite équipe derrière (3) et aux nombreux participants chaque mois. Je l’ai dit, je souhaite développer #AdopteUnAncêtre avec des personnages historiques issus de ma vallée, mais il y a aussi un projet qui devrait arriver courant février, et qui s’appelle Raconte-moi nos Ancêtres (RMNA). Sur ce dossier, nous sommes plusieurs aux manettes (la même équipe que pour le #RDVAncestral) et j’espère que nous aurons l’honneur de mobiliser la communauté de généanautes !

Texte de présentation publié sur Twitter mi-juillet 2017.

Dans mon bilan de 2016, je souhaitais aussi « pouvoir investir dans des tas de projets comme le fait de réaliser des voyages généalogiques sur les traces de tels ou tels ancêtres, de telle ou telle branche en proposant dans le même temps des sortes de chroniques (écrites et pourquoi pas vidéo…). C’est en effet un projet que j’ai en tête mais que je sais encore trop prématuré pour l’annoncer et le programmer. Rendez-vous en 2018 ? » Bon, les copains, je ne sais pas si le rendez-vous sera honoré en 2018 mais je vais tout faire pour. Ce projet a en tout cas germé, il n’est pas encore forcément arrivé à maturation mais croyez-bien que je ferai mon possible afin de vous proposer un petit quelque chose, que ce soit ici ou via mes réseaux sociaux (Twitter, Facebook et Instagram).

L’analyse transgénérationnelle

C’est l’objectif essentiel de l’année à venir : développer mes compétences dans le champ si vaste et si passionnant que constitue l’analyse transgénérationnelle (4) au travers de ma propre expérience mais aussi de celles de mon entourage. Je ne sais pas si je trouverai le temps et les ressources nécessaires pour me former en 2018 mais ce qui est certain c’est que je continuerai à explorer ce chemin parfois tellement sinueux mais toujours incroyable par sa richesse. J’espère avoir l’occasion de partager mes pérégrinations sur le blog ou ailleurs avec le plus grand nombre. Même si je n’en parle pas plus longuement, il s’agit vraiment d’un pilier d’ambitions que je projette dans les années à venir, qui dépasse carrément le cadre généalogique.

Petit point statistiques

Je ne vous embêterai pas avec les chiffres longtemps mais cela me permettra d’avoir un point de référence pour l’année prochaine. Avec 28 articles publiés dans l’année (grâce au #RDVAncestral, j’ai assuré une publication mensuelle et j’en suis très content), mon site (qui fêtera ses deux ans au printemps) a enregistré 54 300 visiteurs pour 118 000 visites effectuées. Merci, merci, merci, mille mercis. J’en profite aussi pour remercier tous celles et ceux qui commentent mes publications, sur le blog ou sur les réseaux sociaux et aussi tous les gens qui me contactent directement via le formulaire “Contact” du site. C’est toujours un plaisir d’échanger avec vous, quel que soit le sujet. Merci évidemment aux gens qui me font confiance et me permettent d’explorer avec eux leur passé familial. Merci.

Au-delà de la généalogie

Je vous souhaite de réaliser tous les rêves qui vous sont chers, y compris ceux reclus depuis longtemps aux oubliettes. Que votre santé vous porte vers tous les objectifs que vous vous fixerez et surtout que 2018 vous apporte des tas de petits inattendus, peu importe leur nature, car c’est bien la force de ce que nous n’attendons pas qui créent les conditions du véritable bonheur. Excellentes fêtes de fin d’année et tous mes voeux de réussite pour l’année 2018.

Le bonheur, c’est continuer à désirer ce que l’on possède.

Saint-Augustin

La Tempête, par Giorgione, oeuvre conservée par la Gallerie dell’Accademia de Venise (Italie). Source

Notes

(1) : À commencer par une refonte formelle du site ! Nouveau look, nouvelles couleurs, nouveau départ pris en… juin, de mémoire.

(2) : en vérité, j’avais titré cet article en référence à un morceau que j’avais écrit et sorti en 2013, écoutable ici.

(3) : Clément, Marie, Marion, NathaliePascalina pour ne pas les citer !

(4) : Découvrez mon #ChallengeAZ de juin 2017 consacré à cette thématique et que j’avais réalisé sous forme de threads sur Twitter et disponible via Storify qui disparaîtra très prochainement.