Ah, la psychogénéalogie, on y revient ! Nous sommes à la fois la somme de nos ancêtres et la somme de nos expériences individuelles. Nous sommes à la fois hétitiers d’une histoire familiale, de gènes, de secrets, de traits de caractère relatifs à nos ancêtres et libres d’être qui nous voulons. Nous sommes à la fois tributaires d’un jeu de transmissions conscientes et inconscientes et maître de notre chemin de vie, de notre destin.

C’est à la croisée de ces routes que je situe la psychogénéalogie. Loin d’être magique, surnaturelle ou extraordinaire, il s’agit d’abord d’analyser son histoire familiale, d’en comprendre les tenants, les aboutissants et ensuite d’identifier et donc de résoudre d’éventuelles problématiques relatives à l’histoire de ses ancêtres, à la lumière ou à l’ombre de ce que nous vivons aujourd’hui en tant qu’individu. Plus précisément, ne vous êtes-vous jamais demandé si votre vécu, votre vie, votre situation professionnelle, affective ou autre, ne trouvaient pas un écho dans votre passé familial ?

Et si tout avait un sens ?

Un sens n’est pas forcément LE sens. Encore une fois, trouver un sens à quelque chose appartient à chacun et diffère d’un individu à l’autre. En ce sens, la psychogénéalogie est difficile à cerner, à baliser et à appliquer systématiquement. Ce n’est d’ailleurs pas le but de son utilisation. Elle n’est qu’un outil de plus dans la boîte des approches thérapeutiques disponibles. Un outil complexe, certes, mais un outil quand même. Pas une fin. La psychogénéalogie vous invite ainsi à déchiffrer les transmissions au fil des générations de votre ascendance et vous incite dans ce sens à réfléchir, à trouver des clés de lecture qui se nichent parfois dans des secrets que la mémoire familiale a pris soin, consciemment ou pas, de taire.

Illustration psychogénéalogie

Des exemples ?

Les exemples sont multiples et infinis. Pour cet article, j’ai envie de parler de mon expérience personnelle. Afin d’écarter d’emblée les soupçons quant à la fiabilité des exemples cités. Ils le sont forcément puisque je les ai vécus et que j’en suis le principal acteur. Je n’en prends ici que deux.

Lorsque j’avais une quinzaine d’années, des ennuis de santé ont amené les médecins à suspecter un problème au niveau de mes poumons. Essoufflements, malaise général, me voilà embarqué pour un scanner qui ne révélera finalement rien de probant. Les symptomes, eux, persistent plusieurs mois durant. Des années plus tard, je découvre un secret de famille aux Archives départementales de la Savoie en apprenant que mon grand-père paternel a été exempté de service militaire pour cause de tuberculose pulmonaire. Aucun de ses enfants ne le savait. En interrogeant la soeur de mon grand-père, j’apprends qu’à un peu près au même âge que moi, mon grand-père contracta une tuberculose pulmonaire, qu’il fut admis au sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet pour soigner la soigner pendant 7 ou 8 mois. L’équivalent de la durée de mes symptômes. Hasard ?

Mon deuxième prénom : Paul. Ma mère s’appelle Paule, mon grand-père maternel Paul, son père Paul et le père de son père Paul. Une transmission des prénoms presque fortuite car il se trouve que ma mère a tenu que je porte celui-là “simplement” parce que mon père avait tenu à donner le sien à mon frère aîné, également en deuxième prénom. Dès le début de mes recherches généalogiques, j’apprends que le premier Paul (1876-1906) se serait suicidé, d’après la mémoire familiale, après la faillite de son entreprise et en prônant “mieux vaut la mort que le déshonneur”. Or, il l’aurait fait le 26 janvier. Jour de la Sainte-Paule (qui diffère de la saint-Paul, lequel est fêté le 29 juin). Suicide qui intervient quelques mois avant la naissance de mon AGP, Paul, en avril 1906. Ma mère est, elle aussi, née en… avril. Moi qui me suis toujours senti proche de l’Algérie où a vécu ma famille pendant plusieurs générations, il se trouve que ma mère m’a eu exactement au même âge que celui de mon grand-père au moment où il quitte l’Algérie en 1962. Non sans en être complétement bouleversé. Plus encore, mon AGP fut plus ou moins abandonné par sa mère peu après sa naissance et recueilli chez sa grand-mère espagnole. La hantise du sentiment d’abandon est encore, trois générations plus tard, bien présente. Hasard ?

D’autres occurences de dates et de situations fourmillent dans l’exemple de cette lignée mais je ne souhaite pas les expliciter ici car ce n’est ni le lieu, ni l’endroit, ni même le sujet pour le faire.

Ces exemples sont tirés de mon expérience directe mais sont loin d’être les seuls !

Guérir de ses ancêtres ?

Et c’est là où ça devient intéressant. Dès lors que nous prenons connaissance et donc conscience de l’histoire de nos ancêtres, il nous est plus facile de s’en défaire après l’avoir intégré et digéré – s’il le faut. Guérir de ses ancêtres, c’est en fait comprendre les mécanismes de reproduction au fil des générations de notre famille et ensuite être libre de rompre ces mêmes mécanismes. Guérir de ses ancêtres, c’est au fond considérer que le vécu de nos aïeux (ancêtres directs mais aussi collatéraux : il faut être naïf pour dissocier les deux et imaginer sérieusement que le vécu des frères et soeurs de nos ancêtres n’aient eu aucune incidence sur le leur) peut continuer à trouver un écho dans notre vie. Il ne s’agit ni d’une fatalité, ni d’un déterminisme quelconque puisque nous sommes capables et libres de nous en défaire lorsque nous le jugeons nécessaire.

Et la science dans tout ça ?

Qu’ils soient psychologues, philosophes, généticiens, biologistes… les scientifiques sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser. Pour celles et ceux que ça intéresse, je vous propose de découvrir cette “conférence de Nathalie Dostatni lors de la Nuit des Sciences et des Lettres (juin 2016). Nathalie Dostatni est chef de l’équipe Plasticité épigénétique et polarité de l’embryon à l’Institut Curie et professeure à l’UPMC” et qui pose la question de ce qu’est l’épigénétique.

À découvrir aussi :

Pour aller plus loin avec votre propre généalogie

Vous pensez que la psychogénéalogie peut vous apporter des réponses sur des situations de blocage que vous vivez actuellement ? Discutons-en ensemble ! Je vous propose en effet de vous aider à identifier dans votre ascendance les potentielles problématiques, soit à partir de votre arbre généalogique déjà plus ou moins renseigné, soit en menant les recherches moi-même. Dans les deux cas, il est important de comprendre que c’est à vous de trouver (ou pas d’ailleurs) un sens. Car le vécu de vos ancêtres résonne singulièrement en vous. En ce sens, il se peut que des situations qui vont me paraître potentiellement porteuses de quelque chose se révéleront être, à vos yeux, complétement anodines. La psychogénéalogie est un outil personnel, propre à chacun, par conséquent difficilement transposable. Sachez-le.

#RDVAncestral n°1 – Etienne Brunet (1834-1879)

10 juillet 1879, New Years Diggens, comté de Stanislaus, Californie, côte ouest des Etats-Unis. Au petit matin. C’est là que je voudrais que se déroule mon premier rendez-vous ancestral. Si j’en crois ses lettres, Etienne se levait tôt, avant même que le soleil en fasse de même. Je me tiendrais là, près de sa maison en pierres qu’il a construite de ses mains. Prudemment. La légende familiale dit qu’il aurait mis en joue son propre frère l’ayant rejoint en 1874 parce qu’il ne l’aurait pas reconnu. Normal puisque la dernière fois qu’il l’avait vu, Joseph n’avait qu’une dizaine d’années. Pour éviter un coup de fusil, les deux hommes se seraient parlé en patois. Manque de chance, je ne le parle pas ni le comprends.

Je crois qu’en somme c’est la première préoccupation que j’aurais, faire en sorte qu’il sache que je viens de loin et surtout dans son intérêt, pour lui. C’est en effet dans la journée du 10 juillet 1879 que la vie d’Etienne Brunet se terminera, tué dans un éboulement au cœur de sa mine. Il était parti plus de vingt ans plus tôt de son petit village alpin, Saint-Sorlin-d’Arves, pour chercher de l’or. Il en mourra.

Je lui conseillerai donc, naïvement, de bien étayer sa galerie, de ne pas se précipiter, et l’inviterai même à passer la journée à ne rien faire. Comme une suspension du temps, on ne rencontre pas un homme du futur tous les jours. Ma foi, je l’imagine fidèle à l’image que je m’en fais quoique certainement dérouté par les détails de son physique : sa taille notamment. Il était certainement plus petit que je ne le crois. Ses mains, sans doute usées. Se référant toujours à Dieu dans ses lettres, je l’imagine faire le signe de croix, tentant de chasser mon image comme une mauvaise blague du Malin. Je le rassurerai, évidemment. Je n’oserai même pas m’approcher, lui parlerai de loin. Pour commencer, c’est bien.

Je crois au langage des yeux, au langage du cœur aussi et j’imagine Etienne intrigué, curieux de laisser entrer un inconnu, lui pourtant si méfiant. Pour preuve que je le connais mieux qu’il ne le pense, je lui lancerai un mystérieux « je sais que tu es pour la vie » puisqu’il signait toutes ses lettres par cette très belle phrase « je suis pour la vie. » Certainement avec un sourire à peine dissimulé, il me tendrait la main, ou pas. Peu importe.

Je lui demanderai s’il va bien, et surtout lui détaillerai qui je suis, d’où je viens. Que je suis le descendant de sa sœur Clémentine, qu’il n’a pas vu depuis une éternité. Non sans joie, je lui annoncerai que depuis moins de deux mois, il a la chance d’être l’oncle d’une petite Marie-Françoise. Oui, Marie-Françoise en l’honneur de sa sœur qui porte le même prénom et qui vit seule avec Clémentine. Car une naissance chassant une mort, il faudrait bien que je lui dise la vérité au sujet de son père, décédé un an et demi plus tôt, en mars 1878. Le savait-il par ailleurs ? C’est possible. Rapidement, je lui expliquerai que sa nièce sera la mère de mon grand-père, un Chaix dont je porte le nom aujourd’hui.

Que mon grand-père justement parlait de temps en temps, fasciné, de ses deux oncles d’Amérique. Comment ne pas imaginer Etienne se tenir la tête dans ses mains, moins par émotion que par ahurissement. Puis je me tairai, lui laisserai le temps de reprendre ses esprits. Je prendrai le mien afin de contempler le paysage qui m’entoure. Cette fameuse maison de pierres qu’Etienne décrit longuement dans une de ses lettres. Ses poules, s’il en a encore, son terrain, le petit chat « qui vient de temps en temps boire du lait » qu’Etienne laisse à disposition, son environnement, puis lui. Cet homme dont je n’ai aujourd’hui qu’une photo. Son attitude, sa manière de se tenir, ses habits, tout.

Puis viendrait peut-être l’heure des questions : quelles sont les raisons de son départ ? Avec qui est-il parti, de quelle manière ? Comment a-t-il rejoint la Californie et traversé les Etats-Unis d’est en ouest ? Même si j’ai déjà des éléments de réponse, je me ferai tout petit et écouterai le plus précisément du monde la moindre phrase sortant de sa bouche. Je lui dirai certainement que je le cherche depuis tant d’années. Que j’ai retrouvé ses lettres au fond d’une vieille boîte en bois, dans sa maison, au Pré, à Saint-Sorlin. Peut-être sera-t-il étonné d’imaginer que sa maison est toujours debout ? Aura-t-il la curiosité de me demander innocemment comment vont untel et unetelle : c’est là qu’il sera sûrement dérouté de m’entendre lui dire que je ne sais pas précisément de qui il parle.

Comme la plupart des gens de son temps, je l’imagine néanmoins peu bavard, hagard même, face à ce rendez-vous inattendu. Face à cette rencontre impossible. Je l’imagine donc vouloir presque me laisser là afin de vaquer à ses occupations.

« Je dois travailler » me suggérait-il sans doute avec timidité mais non sans détermination. Saisissant son chapeau, partant sans même se retourner vers cette butte que j’imagine être sa mine, je ne crois pas que j’aurai finalement le courage de lui révéler que je suis la dernière personne qu’il verra. Je le regarderai donc une dernière fois. Je le laisserai s’engouffrer dans une éventuelle brume matinale, rejoindre son destin. Son image disparaîtra alors et restera comme un souvenir d’un rendez-vous inespéré, tel un rendez-vous qui n’a finalement jamais existé.

Comment constituer une généalogie sans s’intéresser de près à son patronyme, celui qui nous a été transmis à la naissance, ce nom qui nous relie directement au passé et à une partie de nos ancêtres ? Le mien s’écrit Chaix, se prononce Chèxe, et la mémoire familiale retient que les Chaix de notre famille ont toujours habité Saint-Sorlin-d’Arves, petit village alpin de Maurienne, dans le département de la Savoie. Une généalogie a priori facile à constituer : pas de migration, des archives peu lacunaires et relativement bien conservées… Voyons de plus près ce qu’il en est.

12 générations attestées

Schématiquement voici comment se présente la branche Chaix de mon arbre :

Moi

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Mon père

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Maurice Ernest Edouard Célestin Chaix (1918-2003)

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Charles François Marie Chaix (1868-1935)

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Joseph Théophile Chaix (1820-1898)

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François Chaix (1786-1865)

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Joseph Chaix (1757-après 1813)

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François Chaix (1713-1791)

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Barthélémy Chaix (1672-1743)

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Sorlin Chaix (1642-1706)

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Claude Chaix ( -1665)

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André Chaix ( – )

Une famille implantée à Saint-Sorlin au moins depuis le milieu du XVIIe siècle ?

Ainsi, mon ancêtre le plus lointain, avéré par les archives à ma disposition, s’appelle André Chaix. Il exerce la profession de notaire, tout comme son fils, Claude, qui décède en 1665. Transmis de père en fils, je ne retrouve cependant pas de notaire dans les générations suivantes. Toutefois, il est important de bien comprendre que Saint-Sorlin-d’Arves est une commune pastorale avant tout. Les revenus des familles sont constitués par le travail de la terre et par l’élevage, sans exception. Gabriel Pérouse (1874-1928), archiviste et historien français, a rédigé une Etude statistique et démographique sur St-Sorlin-d’Arves, commune des hautes vallées alpestres en Savoie dans laquelle il écrit :

C’était aussi une population – et ceci nous intéresse davantage – extrêmement homogène, en ce sens qu’il n’y avait guère de différence entre le plus pauvre et le plus riche des habitants de Saint-Sorlin. La terre est très morcelée ; il y en a pour tous. Les 1455 hectares de la commune soumis au régime de la propriété individuelle sont divisés, au cadastre de 1738, en 5391 parcelles, qui se trouvent réparties entre tous les chefs de famille. […] Il y a juste neuf parcelles, sur les 5931 que nous indiquions, qui appartiennent à des étrangers, paysans des communes limitrophes. Quatre-vingt trois autres forment des dotations de l’église paroissiale et des chapelles que les villageois ont fondées. Tout le reste se trouve aux mains des habitants, tous cultivateurs,  […]. Et ce sont également des cultivateurs ceux qui joignent à la culture et à l’élevage un métier ; c’est d’ailleurs une rareté ; pendant plus d’un siècle en effet que dure notre période [1648-1758], nous ne rencontrons guère que deux tisserands, qui tissent des draps du pays, deux forgerons qui forgent le fer de Maurienne, et cinq notaires qui minutent les contrats sans trop de cérémonies et moyennant de très modiques honoraires ; ils sont restés paysans et leurs enfants le sont après eux. »

Source : PEROUSE, Gabriel, “Histoire d’une population aux XVIIe et XVIIIe siècles – Etude statistique et démographique sur St-Sorlin-d’Arves, commune des hautes vallées alpestres en Savoie”, dans Mémoires et documents publiés par la Société savoisienne d’histoire et d’archéologie, Chambéry, T67, 1930, pp.17-65

Par ailleurs, Gabriel Pérouse cite André Chaix et me permet d’en savoir plus sur mon ancêtre. Son étude constitue à ce titre une source précieuse pour mes recherches généalogiques :

André Chaix, l’un des chefs de famille de 1648, était notaire. Il eut une fille et deux fils, Claude, qui fut aussi notaire, et Jacques, qui fut syndic de la commune. Cette maison dans un village où nous savons qu’il y avait d’ailleurs peu d’inégalité dans les conditions, était donc parmi les plus aisées ; il fallait, pour être notaire, avoir étudié hors de la commune, et pour être prêtre aussi, comme fut l’un des enfants du notaire Claude. »

Source : PEROUSE, Gabriel, Ibid., p.41

Je trouve également la trace d’un André Chaix, notaire, durant la peste de 1588 à Saint-Sorlin-d’Arves. S’agit-il de lui ou du père d’André ? Quoiqu’il en soit, la présence de mes ancêtres Chaix à Saint-Sorlin est attestée finalement au moins jusqu’à la fin du XVIe siècle.

La descendance d’André

Pérouse précise qu’André Chaix a trois enfants, deux garçons et une fille. Vu que mon ancêtre Claude est aussi notaire, j’en déduis que c’est lui l’aîné de la fratrie. Il se marie le 28 janvier 1636 à Saint-Sorlin-d’Arves avec Jacqueline Fay-Jacquet. De cette union, naissent 7 enfants, dont Sorlin, en 1642. Si l’archiviste précise que l’un des enfants de Claude est prêtre, je n’en trouve pour l’instant aucune trace. Mais je ne vais pas tarder à découvrir des migrations et liens avec le Dauphiné jusque là insoupçonnés.

Des liens et des cousins en Oisans

Sorlin Chaix se marie en 1667 à Saint-Sorlin-d’Arves avec Charlotte Arnaud. 8 enfants naissent de cette union, dont Barthélémy, mon ancêtre. Première surprise : en mai 1710, Jean Claude Chaix, le dernier de la fratrie né en 1687, se marie à Villard-Reculas, dans l’Oisans (Isère), avec Géline (ou Céline) Roux ; moins d’un mois plus tard, c’est au tour de sa soeur, Agnès Chaix, née en 1675, de se marier à Villard-Reculas avec Jean Revol. Deuxième surprise : le curé de ce même village de Villard-Reculas n’est autre que… Jean Baptiste Chaix, né en 1677 à Saint-Sorlin, frère de mon ancêtre Barthélémy. Troisième surprise : alors que Sorlin Chaix décède en 1706, toujours à Saint-Sorlin, sa femme – Charlotte Arnaud – décède en 1721 et est enterrée à… Villard-Reculas !

Il faut savoir que les mariages à Saint-Sorlin-d’Arves sont marqués par un fort taux d’endogamie : très exceptionnellement, je retrouve des mariages unissant des conjoints ayant des origines autres qu’arvines et paradoxalement, sur cette petite minorité, cela concerne régulièrement des individus venant du Dauphiné. En témoigne un mariage retrouvé dans les registres paroissiaux de la commune en 1720, unissant Bartholomée Chaix (sans lien direct avec les Chaix évoqués précédemment) et Barthélémy Dusser, originaire de Clavans.

Mise en évidence de la proximité entre Saint-Sorlin et le Dauphiné. Villard-Reculas se situe à quelques kilomètres au sud-ouest d’Huez.

Le premier Chaix était-il Dauphinois ?

J’arrive ainsi rapidement à me dire que les Chaix des Arves viennent finalement du Dauphiné et qu’ils sont montés se fixer dans les Arves, et précisément à Saint-Sorlin avant la fin du XVe siècle. Dans son Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, Gustave Chaix-d’Est-Ange (1800-1876) – ça ne s’invente pas ! – décrit un des patronymes Chaix de cette manière :

Le nom de Chais, ou Chaix, très répandu dans la Haute-Provence, a été porté dans cette région au moyen âge par une famille noble et distinguée. Guillaume Chaix vivait en Trièves en 1285. […]

Source : CHAIX-D’EST-ANGE, Gustave, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, vol.IX, Evreux, 1903-1929, p.210.

La boucle est ainsi bouclée… Le tout premier Chaix recensé l’aurait été dans le Trièves, dans le sud du département de l’Isère, au XIIIe siècle et s’appelle Guillaume : ça non plus, ça ne s’invente pas. Par ailleurs, beaucoup de Chaix sont présents à l’époque médiévale dans le Briançonnais et en particulier vers Gap.

Racine étymologique du patronyme Chaix

L’étymologie même du nom pourrait indiquer que la famille Chaix migre au cours des siècles du sud vers le nord. Sur Généanet, je lis :

Le sens n’est pas très clair : le mot peut désigner une variété de genévrier. Mais il est souvent associé en topographie à des collines, et c’est sans doute le sens de “rocher” qu’il faut privilégier, soit d’après la racine “quer”, soit par une métaphore liée à l’occitan “cais” (= mâchoire, dents) »

Source : Généanet

La racine occitane fait écho à la mémoire familiale qui retient cette version de l’origine du nom avec l’idée d’homme aux fortes mâchoires. Par ailleurs, les Chaix à Saint-Sorlin semblent être basés sur le haut de la commune, dans le hameau de Pierre-Aigüe, confortant l’hypothèse de l’origine topographique du nom de famille. Dans les registres paroissiaux, je trouve différentes ortographes : Chais, Chays, Cheys, ou encore Ches, le S s’étant progressivement transformé en X. Comme la mémoire familiale s’attache à le prononcer, j’ignore l’origine de mon patronyme qui viendrait du Chai, qui désigne le lieu où se déroule la vinification. D’autant qu’à Saint-Sorlin, les vignes n’existent pas. Une dernière hypothèse est émise par Robert Gabion, dans son excellent Dictionnaire des noms de familles de Savoie, Haute-Savoie, canton de Genève (partie)… :

Dérivés de l’ancien français chas, corps de bâtiment (latin capsa, coffre), correspondant aux toponymes mauriennais anciens Chassum, Cheys, Chaix (celliers, membres de maisons) ; mais “chaix” a pu représenter dans le passé une notation palatalisée de saix (latin saxum), rocher. […] »

Source : GABION, Robert, Dictionnaire des noms de familles de Savoie, Haute-Savoie, canton de Genève (partie), Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2011, p.223.

Pas de preuve formelle quant à l’origine exacte de mes ancêtres, seules des hypothèses demeurent. Les faits, eux, se contentent de fixer l’origine de mon ascendance patronymique à Saint-Sorlin-d’Arves. À suivre…

Trouver un acte de décès, c’est bien, trouver un acte de décès qui mentionne les causes du décès, c’est mieux et même exceptionnel.

Contexte généalogique

Jacques Milliex naît le 25 juin 1767 à Saint-Sorlin-d’Arves, en Maurienne, appartenant à l’époque au duché de Savoie. Dernier de sa fratrie, il se marie le 27 octobre 1789 avec Anne-Marie Milliex. De cette union, naissent sept enfants :

  1. Catherine, décédée moins de deux mois après sa naissance en 1790,
  2. Pierre, né en 1792,
  3. Geneviève, née en 1794,
  4. Françoise, née en 1797,
  5. Joseph, né en 1800,
  6. Jean Baptiste, né en 1802,
  7. …et Catherine, née en 1807 et qui est par ailleurs mon sosa n°39 (la mère d’Etienne et de Joseph Brunet, mes oncles partis en Californie).

Jacques et Anne-Marie Milliex sont donc mes sosas n°78 et 79.

Un acte de décès dans le Dauphiné et de multiples informations

Grâce à une mention, je sais que Jacques décède en 1817 à Laval, petit village d’Isère. Interpellé par le lieu de sa mort, je m’empresse donc d’aller consulter l’acte en question et je lis :

Le onze avril mil huit cent dix-sept, par devant nous Etienne François David, maire et officier de l’Etat civil de la commune de Laval, canton de Domène arrondissement de Grenoble,

Est comparu Joseph Millet, ramoneur, domicilié à Saint-Sorlin-en-Maurienne, duché de Savoie, assisté de Pierre Coche dit Bouteuil & de Philibert Berthet Maguet, tous deux majeurs, propriétaires agricoles habitant à Prabert, hameau de Laval, lesquels nous ont déclaré que ce jourd’hui à neuf heures du matin, sur la montagne appelée le Muret au lieu-dit à Eyguebelle, commune de Laval, Jacques Millet, natif de Saint-Sorlin-en-Maurienne, âgé de cinquante ans environ, fils à feu Pierre, époux de Marie Millet, propriétaire domicilié audit Saint-Sorlin et Jean Baptiste Millet, son fils âgé de treise ans, sont décédés par suite d’une tempête et d’un tourbillon de neige qu’ils ont éprouvé au passage de la Coche en allant dans leur famille. Desquels décès nous avons dressé le présent acte en présence dudit Joseph Millet, fils audit Jacques […]. »

Source : AD de l’Isère, cote : 9NUM1/AC206/10, Laval, décès, coll. communale (1807-1819), vue 131/162.

Première remarque sur l’orthographe du patronyme qui indique que le X de Milliex ne se prononce pas. Ce qui concorde avec l’origine étymologique du nom de famille Milliex, dérivé de Millet et qui serait un diminutif de mil (du latin milium), nom d’une céréale cultivée au Moyen Âge pour la panification et la préparation de bouillies (d’après GABION, Robert, Dictionnaire des noms de familles de Savoie, Haute-Savoie, canton de Genève (partie), Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2011, p.683).

L’acte de décès nous apprend en outre que Joseph, qui déclare le décès de son père et de son jeune frère Jean Baptiste, exerce la profession de ramoneur à Laval, en Dauphiné. À vol d’oiseaux, une vingtaine de kilomètres seulement sépare Laval de Saint-Sorlin-d’Arves. Sur Google Maps, un itinéraire à vélo nous est même proposé.

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Evidemment, à l’époque, Jacques et son fils Jean Baptiste se rendent à Laval à pied ou éventuellement à dos de mule[t]s. L’itinéraire indiqué ci-dessus ne doit pas tellement différer de celui qu’ils empruntent à l’époque. D’abord le franchissement du Col-de-la-Croix-de-Fer, au-dessus de Saint-Sorlin, le suivi de la rivière d’Eau-d’Olle qui passe par le Rivier-d’Allemond, puis la montée vers le Pas de la Coche (aujourd’hui encore, le Pas de la Coche est fréquenté par les randonneurs) et la descente enfin vers Prabert et la commune de Laval, précisément vers l’endroit où ils décèdent.

Avril 1817, il est aisé d’imaginer le manteau de neige couvrant probablement la plupart des massifs environnants. Le vent se lève, et voici Jacques et Jean Baptiste, rentrant d’une visite à leur fils et frère à Laval, pris dans “tempête” et un “tourbillon” de neige alors même qu’ils tentent de rentrer chez eux à Saint-Sorlin. Joseph, resté à Laval, s’est-il inquiété des conditions météorologiques quelques heures après le départ de son père et de son frère ? Ont-ils seulement retrouvé les corps ?

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Panneau indiquant le Pas de la Coche. Source